avant-portrait > Patrice Trigano

Alors qu’il est tombé tôt dans la littérature, via le surréalisme qui "[lui] a fait exploser la tête" et dont il ne s’est "jamais remis", Patrice Trigano n’est pas tout de suite devenu écrivain. Il a même attendu un temps certain avant de publier son premier livre : son autobiographie, Une vie pour l’art, à La Différence, en 2006.

"Tout jeune, raconte-t-il, je ne parlais que de peinture." Alors, à défaut d’être peintre, après un stage chez le commissaire-priseur-écrivain-académicien Maurice Rheims, il devient galeriste. D’abord en association, à la galerie Beaubourg. Puis, en 1981, il ouvre sa propre galerie à son nom, rue des Beaux-Arts, où il officie toujours. "Galeriste, c’était un moyen de m’exprimer, explique-t-il, et d’exposer les artistes que j’aime : Masson, Brauner, Michaux ou Buren, dont j’ai été le premier acheteur. C’est un pur génie, un vrai novateur."

"Novateur", le maître mot est lancé. Car, peintres et-ou écrivains, notre homme n’aime que les inventeurs, les rebelles, les fous furieux. Après ses "Mémoires", il publie A l’ombre des flammes (La Différence, 2008), des dialogues sur la révolte avec Alain Jouffroy. Puis Rendez-vous à Zanzibar (La Différence, 2010), une correspondance avec Fernando Arrabal "en double aveugle", aux allures de "cadavre exquis littéraire". Outre leur complicité, l’irréductible et protéiforme Espagnol lui "inocule le virus Jarry".

Ensuite, Patrice Trigano exécute le grand saut périlleux. Il se lance dans une trilogie romanesque consacrée à ses trois écrivains fétiches, ses "phares". Artaud, avec La canne de saint Patrick (Léo Scheer, 2010), saisi ce jour de 1938 où il bascule dans la folie ; Raymond Roussel, avec Le miroir à sons (2011), "un roman gigogne" où un vieux soixante-huitard en analyse ratée écrit un livre sur la vie de l’auteur de Locus Solus ; et cet Ubu roi : "Merdre !", où il revisite la courte et triste vie de Jarry "sous la forme d’une voix intérieure qui est comme sa conscience". Le roman paraît au Mercure de France, qui fut l’éditeur d’Ubu roi, entre autres. "Tout cela fait sens", dit l’auteur, lequel s’est attaché "à faire revivre l’époque, le contexte, tout en restant fidèle à ce que Jarry aurait dit ou fait".

Le ferment de la révolte

"Fidèle", autre mot clé pour Patrice Trigano. Fidèle au surréalisme, découvert à l’Ecole alsacienne, "grâce à un copain, Didier Léon, qui, à 14 ans, peignait comme Dalí", mais n’a pas fait carrière. A ses grands hommes, à ses valeurs et à son héritage : "L’héritage du surréalisme, c’est Mai 68", estime-t-il. Ce printemps pour lequel, alors atteint d’une grave maladie cardiaque, il a vibré depuis son lit d’hôpital. "Aujourd’hui, on en est très éloignés, hélas. Or, le ferment de la révolte est indispensable pour la régénération de nos sociétés."

Après Artaud, Roussel, Jarry, à qui le tour ? On le verrait bien s’intéresser à Crevel, à Vaché… Et pourquoi pas à un peintre, ce qui permettrait à Patrice Trigano de réconcilier ses deux passions, plutôt que, comme aujourd’hui, "l’une chasse l’autre". Heureux homme. Jean-Claude Perrier

Ubu roi : "Merdre !" de Patrice Trigano, Mercure de France. Prix : 15,50 euros, 160 p. Sortie : 1er février. ISBN : 978-2-7152-4663-8

Les dernières
actualités