C’était un vrai placard, dans un couvent, et un vrai cadavre, celui de Mussolini. Pendant onze ans, des capucins cachèrent ce corps que les Italiens ne voulaient plus voir après l’orgie sanglante de l’esplanade Loreto, mais qu’ils ne pouvaient oublier. L’Eglise, fidèle à sa longue histoire du contrôle des corps, rendit celui-ci invisible à la jeune République transalpine.
Sergio Luzzatto raconte cette histoire comme un polar. Le vol de la dépouille du Duce dans un cimetière de Milan en 1946, l’enquête pour retrouver les coupables et le désarroi pitoyable du commando de jeunes néofascistes, qui ne sait que faire de cette encombrante dépouille. Cent jours plus tard, les détrousseurs de sépulture sont arrêtés et le corps retrouvé est confié aux religieux avant d’être restitué à la famille en 1957.
Le travail de Sergio Luzzatto est passionnant d’un bout à l’autre. Il raconte la vie posthume et très agitée du Duce à l’image de la politique italienne dans l’immédiat après-guerre. Dans la lignée de son enquête sur Padre Pio : miracles et politique à l’âge laïc (Gallimard, 2013), il montre combien son approche anthropologique du passé est novatrice.
Il décrypte avec beaucoup de clarté cet escamotage qui intervient un an après la mort de Mussolini, alors qu’en France le cercueil de Pétain fut dérobé par des nostalgiques de Vichy pendant quelques jours en 1973, sous la présidence de Georges Pompidou, puis replacé sur l’île d’Yeu.
Sergio Luzzatto (université de Turin) explique la force de ce qui s’est déroulé lorsque le corps du Duce, pendu par les pieds, fut l’objet d’un défoulement de la population au point que des pompiers furent chargés de nettoyer à grande eau ce corps couvert de crachats et d’urine. Il expose ainsi la difficulté pour un pays à construire une mémoire fondatrice. Un grand livre. L. L.