C’est sans doute parce que sa famille, des Juifs français du côté maternel, allemands du côté paternel, a été prise dans la tourmente de la guerre - certains se sont enfuis aux Etats-Unis, d’autres ont péri dans les camps de concentration -, que Tom Reiss est un écrivain enraciné dans l’histoire. Diplômé d’Harvard, il s’intéresse à la période qui va « de la guerre de Sept Ans (1756-1763) à la Seconde Guerre mondiale, parce que c’est de là que proviennent nos progrès, et aussi nos drames ». Une problématique qui a nourri son travail de journaliste puis ses livres, étroitement imbriqués.

« D’habitude, c’est moi qui interviewe les gens !» s’amuse Reiss. Il se prête pourtant volontiers à l’exercice, et en français. «Ma mère est française, elle est la seule de sa famille à avoir pu s’échapper. Elle est arrivée à New York à 12-13 ans. Plus tard, elle a connu mon père, issu d’une grande famille de Mannheim. Ils ont eu quatre enfants, je suis l’aîné.» Les Reiss, cosmopolites et polyglottes, vivent à Manhattan, dans une « petite Europe », « un quartier surnommé, vu sa population, Le quatrième Reich ! ». A la maison, on parle anglais, allemand et français. Sa mère l’initie à la culture française, à la musique (« Les chansons des années 1930 et 1940, Damia, Fréhel et tout ça ») et à la littérature : «Sur le bateau, le seul livre qu’elle avait emporté, c’était Le comte de Monte-Cristo, deux tomes en “Bibliothèque verte".» Ça ne s’invente pas. Mais Tom devra attendre l’adolescence pour découvrir la France, sa seconde patrie, en 1980.

A la fin de ses études, il veut devenir « romancier, comme Dumas ». Il commence à écrire des nouvelles. Et puis, en 1989, décidé à retrouver ses racines paternelles, il arrive à Berlin. Le Mur s’écroule. «C’était une période de folie pure», se souvient-il. En 1991, il a l’opportunité, à Dresde, de rencontrer des néonazis, en guerre contre les immigrés africains. Il interviewe leur chef, Ingo Hasselbach. Ses articles sont publiés dans le New York Times et le Wall Street Journal. Remarqués, ils lui valent son premier contrat avec Random House, pour un document : Führer-Ex : memoirs of a former neo-nazi (non traduit en français). Le livre paraît en 1996, « bien accueilli, avec des extraits dans le New Yorker, où Hasselbach pose pour Helmut Newton». L’auteur, lui, même si « [son] livre est très sérieux », souffre de cette «starisation à l’américaine du nazi». Il doit s’en expliquer devant sa communauté. Mais, finalement, l’affaire aura été positive : le facho est devenu un hippie d’extrême gauche, et l’écrivain a été engagé par le munificent magazine.

 

 

Six ans de recherches

« Ils m’ont financé un an pour écrire un seul article. J’ai pu sillonner dix pays, et ce fut le point de départ de L’orientaliste ». Une enquête sur l’auteur d’Ali et Nino, le grand roman national azerbaïdjanais, un certain Kurban Saïd. « Je ne voulais pas devenir le Juif qui écrit sur les nazis, alors un sujet qui se passe en Asie au début du XXe siècle, c’était parfait. » Sauf que, recherches faisant, il découvre des « traces juives » dans le roman, puis que son auteur, qui se faisait aussi appeler Essad Bey, était en fait un Juif, Lev Nussinbaum, mort en 1942 à Positano, où il avait fui.

Une fois son sujet paru dans le New Yorker, Tom Reiss veut le développer dans un livre. Cinq ans de travail, et L’orientaliste paraît chez Random House en 2005. Gros succès, 100 000 exemplaires vendus, toutes catégories confondues, et traductions dans vingt pays. « Mais pas en Azerbaïdjan ! » En France, le livre sort en 2006 chez Buchet-Chastel, repris en « Libretto » en 2010.

Mais, au fond de lui, Reiss avait conservé son amour d’enfance pour Dumas et son œuvre. «Surtout ses Mémoires, avec les 200 premières pages sur son père, Alexandre Davy Dumas, fils d’un marquis et d’une esclave noire, devenu un grand général de la Révolution et un farouche républicain, qui a vu sa carrière brisée par Napoléon ». Très étonné qu’il n’existe pas de biographie française sérieuse de ce personnage, en qui il voit le modèle des grands héros de l’écrivain, dont le comte de Monte-Cristo, il se lance dans l’aventure. Après six ans de recherches, notamment en France où il trouve des documents rares, paraît, en 2012 chez Crown (filiale de Random House et « éditeur de Barack Oba-ma ! »), The black count. Le succès est immédiat. La biographie remporte le prix Pulitzer 2013 et le prix Pen. « Dumas est plus adoré aux Etats-Unis qu’en France», explique l’écrivain, modeste : « C’est le succès de ma vie. Il n’y en aura pas d’autre ! » Pas si sûr.

En attendant, pour un prochain opus, Tom Reiss a repris ses recherches sur sa propre histoire. « Il va encore y avoir des nazis, prévient-il, mais le sabre du général Dumas me protège. »

Jean-Claude Perrier

Dumas, le comte noir, Tom Reiss, traduit de l’américain par Isabelle D. Taudière et Lucile Débrosse, Flammarion, ISBN : 978-2-08-129528-5, mise en vente le 16 octobre.

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