Donc, c’est un tilleul. Un tilleul entre deux mondes, deux maisons. Celle du haut est neuve, fruit vulgaire du désir d’accession sociale de ses propriétaires, on l’oubliera vite. Celle d’en bas est un nœud de colère, le lieu du roman. Un frère, une sœur, Gilles et Sophie, y vivent. Y meurent aussi, à petit feu, accablés de haines recuites, de chagrins, de silence, de névroses. Il y a entre eux, entre autres désolations, le souvenir de leur mère morte et l’absence de Carole, fille de l’une, nièce de l’autre, partie dans un pensionnat pour fuir ce désastre domestique. Entre les deux maisons, il y a donc ce tilleul, un jardin et le jardinier chargé de le concevoir : Jonas Raasch. Jonas et Sophie (l’un est marié, l’autre plutôt vieille fille), par désœuvrement, par hasard ou par goût des complications, vont tomber amoureux. Et, bien entendu, rien de tel que le désir pour révéler chacun à sa vérité intime…
Tilleul est le premier roman d’Hélène Lenoir publié chez Grasset (dans la belle collection dirigée par Martine Saada) après vingt ans et dix livres passés à l’enseigne des éditions de Minuit. Il faut que tout change pour que rien ne change évidemment, tant on retrouve en ces pages la violence sourde, doucement incisive, qui fait tout le prix de l’œuvre de Lenoir. Bien sûr, chaque lecteur pourra constater encore une fois que le modèle familial est minutieusement déconstruit, dénoncé, arasé. Au-delà de cet assassinat perpétré dans les règles de l’art, le vrai "sujet" de ce livre qui ne saurait en avoir, le "motif caché dans le tapis", c’est la langue. Celle-ci "incarne" chacun des personnages par monologues successifs. Ce requiem pour des bavards égarés situe littérairement Hélène Lenoir du côté de Duras (celle de L’après-midi de Monsieur Andesmas), de Des Forêts. C’est dire assez la belle ambition de ce livre et de son auteure.
Olivier Mony