6 septembre > Essai France > Pierre Rosanvallon

Les périodes creuses sont propices au questionnement. Cet automne, l’histoire de la pensée est mise en lumière avec La saga des intellectuels français (1944-1989) de François Dosse (Gallimard, 6 septembre) et Les écrivains et la politique en France : de l’affaire Dreyfus à la guerre d’Algérie de Gisèle Sapiro (Seuil, 20 septembre). Il faut bien sûr y ajouter Notre histoire intellectuelle et politique 1968-2018 en soulignant une particularité: Pierre Rosanvallon s’intègre à ce demi-siècle débordé.

Professeur au Collège de France, il est depuis les années 1970 un penseur engagé au sein de ce que l’on a nommé la deuxième gauche. Proche de Michel Rocard et d’Edmond Maire, cet intellectuel qui fit une partie de sa carrière à la CFDT déroule, telles qu’il les a vécues, ces années intellectuelles et militantes.

Tout part de Mai 68 et tout y revient. C’est le moment où une poignée d’étudiants redécouvrent Marx, puis le critiquent. On se précipite sur les collections "Arguments" de Kostas Axelos chez Minuit ou "Critique de la politique" de Miguel Abensour chez Payot. Les revues abondent, les idées fusent, on cause de tout pour éviter de parler de rien. "Pour moi, comme pour mes amis, ce moment a consisté à écouter, discuter, échafauder des plans d’avenir du matin au soir." Il s’agit en fait d’échapper au marxisme, mais par le haut.

Sorti de HEC, Pierre Rosanvallon aborde le monde du travail à la CFDT. Il y peaufine sa réflexion sur la démocratie et fait l’expérience de la vie communautaire avec Patrick Viveret avec lequel il publie Pour une nouvelle culture politique (Seuil, 1977).

Au Parti socialiste, ça tire à hue et à dia. Jean-Pierre Chevènement et son Ceres mettent la barre à gauche toute, tandis que Mitterrand savonne la planche à Michel Rocard et à son PSU, petite embarcation où se trouve Rosanvallon avec son concept d’autogestion qui pourrait servir d’outil de transition au libéralisme tant décrié.

D’une plume affûtée qui égratigne parfois, l’auteur de La société des égaux (Seuil, 2011) fait un tableau perspicace de ce champ du militant qui semble s’ouvrir à l’infini des espoirs pour se refermer sur celui des désillusions. Dans cette itinérance où le concept ferraille avec le concret, on croise quelques totems comme Alain Touraine apprécié par les médias, Michel Foucault dubitatif sur cette deuxième gauche, François Furet, "avec son look à la Serge Reggiani", ou Claude Lefort qui "donnait le meilleur de lui-même dans l’indignation et le démontage critique de la pensée des autres".

Ce retour sur un cheminement, Pierre Rosanvallon l’a voulu "sincère et lucide", sans trop de nostalgie aussi. L’ouvrage s’achève d’ailleurs sur ses projets et la grande question du moment, la montée des populismes, où l’on voit s’élaborer une pensée de droite dans un langage de gauche. "C’est toujours dans les promesses non tenues de la modernité que s’enracinent les perversions régressives et les illusions mortifères." Dans ce livre aux allures de Mémoires, Pierre Rosanvallon prend le temps d’expliquer l’enlisement des promesses d’hier et dessine des perspectives d’émancipation pour demain. L. L.

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