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Le 30e congrès de l’Union internationale des éditeurs : les habits neufs de l’UIE

Richard Charkin

Le 30e congrès de l’Union internationale des éditeurs : les habits neufs de l’UIE

Le 30e congrès de l’Union internationale des éditeurs, à Bangkok, a exprimé les interrogations des participants devant l’essoufflement de la croissance numérique et les changements du secteur. L’UIE cherche à mieux synchroniser ses missions de défense du droit d’auteur et de la liberté d’édition avec les rythmes des entreprises et des marchés du livre.

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Par Fabrice Piault
avec Créé le 15.04.2015 à 19h12

C’était un club, cela pourra-t-il devenir un lobby professionnel en phase avec les mutations actuelles de l’industrie éditoriale ? L’Union internationale des éditeurs évolue depuis plusieurs années afin de répondre aux effets de la révolution numérique sur les conditions d’exercice et de protection du droit d’auteur, dont la défense est à l’origine même de cette fédération de syndicats professionnels nationaux fondée en 1896 à Paris. Mais l’organisation, qui tenait du 24 au 26 mars, à Bangkok, son 30e congrès, doit "maximiser son impact en minimisant ses coûts", plaide son nouveau président, Richard Charkin, par ailleurs président de la branche littérature générale adulte de Bloomsbury (Royaume-Uni), qui souhaitait aussi, en janvier dans nos colonnes, qu’elle "fasse comprendre ce qu’est le métier d’éditeur" (1).

La force de l’UIE, interlocutrice des grandes organisations internationales comme l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi), tient dans sa capacité à rassembler et à faire dialoguer sur les enjeux de leur activité des éditeurs et des experts de différentes natures et de différentes générations venus de tous les continents. A Bangkok, ils étaient près de 300, issus de 37 pays, de la Suède aux Philippines, du Brésil à la Corée en passant par la Malaisie, l’Inde, les Etats-Unis ou la France. "Les problèmes des éditeurs sont les mêmes partout dans le monde même si les manières de les aborder diffèrent, observe Pierre Dutilleul (Editis), qui représente le Syndicat national de l’édition français au comité exécutif de l’UIE et préside par ailleurs la Fédération des éditeurs européens (FEE). Au congrès de l’UIE, les temps consacrés à la rencontre sont plus nombreux qu’à Francfort ou à Londres où on doit se concentrer sur le business", se félicite-t-il.

Manque de reconnaissance

Au cours des tables rondes organisées cette année, les congressistes ont d’abord manifesté leur dépit de ne pas être suffisamment reconnus dans le monde d’aujourd’hui. "L’édition est aussi nécessaire que l’air que l’on respire", fait valoir Richard Charkin. "Elle fait partie de l’industrie des idées", renchérit l’Indonésien Ayu Utami. "Nous sommes des capital-risqueurs, nous prenons les risques pour tout le monde", ajoute Y. S. Chi (Elsevier) tandis que Charlie Redmayne (HarperCollins UK) constate que "les éditeurs sont de plus en plus conduits à s’adresser directement aux consommateurs", notamment via les réseaux sociaux, et que "la chaîne de valeur change dans la mesure où chacun de ses maillons se met à faire le travail des autres". Indiquant qu’"en Australie, Amazon a pris le contrôle de 30 % du marché imprimé et de 80 % du marché numérique sans même être vraiment présent dans le pays", Sandy Grant (Hardie Grant Publishing) déplore "des réseaux de librairies très affaiblis". A l’avenir, "y aura-t-il assez de libraires pour vendre nos livres ?" demande le Britannique Nigel Newton, P-DG de Bloomsbury. Il pourfend parallèlement l’autoédition, "aussi formidable que l’autoviticulture est formidable".

Rappelant "que le développement du numérique est arrêté aux Etats-Unis et qu’il se poursuit ailleurs pas si vite que cela", le P-DG d’HarperCollins, Brian Murray (Etats-Unis), estime tout de même que "nous vivons probablement dans l’âge d’or de l’édition". Les éditeurs doivent néanmoins relever des défis récurrents. En matière de piratage, décuplé par les nouvelles technologies, les stratégies sont parfois diamétralement opposées. Pour Lawrence Aladesuyi (Nigeria), qui admet que "les éditions piratées sont souvent meilleures que les originales", la réponse tient en trois mots : "surveillance, raids, poursuites". A l’opposé, Hugo Zhang (Reed Elsevier China) plaide pour des coopérations et des partenariats antipiratage avec les géants de l’Internet, comme son groupe en a établi avec Ali Baba ou Baidu. "Les prix bas ne sont pas la solution", précise-t-il en tout cas, avant qu’Ana Maria Cabanellas (Heliasta, Argentine) n’estime que, contre le piratage, il faut d’abord "plus de librairies, moins de TVA et une meilleure protection du droit d’auteur".

La liberté d’édition reste un combat, rappellent également plusieurs éditeurs. Intervenant courageusement dans son propre pays, l’éditrice thaïlandaise Trasvin Jittidecharak (Silkworm Books) n’hésite pas à lancer : "Si vous me demandez si nous avons la liberté de publier en Thaïlande, je répondrai non. Sommes-nous à l’aise avec cette situation ? Non. La combattons-nous ? Oui." L’éditrice russe Irina Prokhorova (NLO) estime aussi qu’en Russie désormais, où l’autocensure est reine, "Internet fonctionne comme les samizdats en Union soviétique".

Nouvelle formule à Londres

Pour mieux intégrer ces échanges dans les rythmes de fonctionnement de l’industrie, l’UIE a d’ores et déjà prévu pour l’an prochain un congrès "nouvelle formule" organisé, du 9 au 14 avril 2016, dans le cadre d’un partenariat avec la Foire du livre de Londres : une soirée de réception-rencontre informelle, une journée de congrès proprement dit, une journée dédiée à la conférence numérique "Digital minds" organisée par la Foire, une journée de rencontre de la branche Education de l’UIE, et l’accès libre à la Foire de Londres prévue du 12 au 14 avril. En parallèle, l’équipe de quatre permanents de l’UIE est en pleine réorganisation. Après que José Borghino l’a rejointe pour accompagner le très actif Forum des éditeurs scolaires, notamment animé par Catherine Lucet (Nathan), et que Dougal Thomson a pris en charge sa communication, le secrétaire général en place depuis douze ans, Jens Bammel, doit, dans les six mois, quitter son poste pour lequel Richard Charkin cherche la perle rare. Le nouveau secrétaire général, dont il attend qu’il contribue à renforcer l’UIE en suscitant notamment l’adhésion des éditeurs polonais ou chiliens, devra "comprendre le secteur, être calé en droit et en diplomatie, être jeune, brillant et… pas cher".

(1) Voir notre interview de Richard Charkin, "Ils ont élu un président dépenaillé, qui ne lit pas les documents et ne paie rien", LH 1026, du 23.1.2015, p. 36-37.

15.04 2015

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