Entretien

Si l'influence de la radio sur les ventes de livres diminue, France Inter est la station la plus prescriptrice selon les libraires. Est-ce une surprise pour vous ?

Le confinement, le télétravail et le couvre-feu n'ont pas joué en faveur de la radio, c'est vrai. Mais nous résistons mieux que les autres stations, avec une diminution de 0,5 % des audiences sur un an. Par ailleurs, on a vu un usage numérique de l'audio qui a explosé. Le mois dernier, nous avons eu 44 millions d'écoutes à la demande, et nos deux podcasts pour les enfants, « Une histoire et... Oli » et « Les Odyssées », atteignent 30 millions de téléchargements depuis leur création. Un livre Les Odyssées vient d'ailleurs de sortir, coédité avec Les Arènes. On a petit à petit fabriqué un vrai écosystème : ce que l'on entend à la radio, on peut le retrouver en livre. La première coédition qu'on a montée avec Les Équateurs, pour « Un été avec... », montre cet aspect gagnant-gagnant entre le livre et la radio. Les neuf titres de la collection atteignent 700 000 ventes. Le beau livre Femmes puissantes, tiré du podcast de Léa Salamé, dépasse les 100 000 exemplaires. Cela joue sans doute dans notre place en haut du classement des stations prescriptrices. Et il y a la confiance. Quand on reçoit des auteurs, quand on recommande ou qu'on édite des livres, nos auditeurs sont en confiance. Sans oublier le prix du Livre Inter, le prix BD Fnac France Inter, le prix du Livre étranger avec Le Point, qui participent à cet écosystème.

Avez-vous impulsé personnellement cette dynamique autour du livre, que l'on retrouve aussi bien dans la matinale que dans « Boomerang », « La Bande originale » ou « L'heure bleue » ?

Pour Philippe Val, le précédent directeur de France Inter avec qui j'ai travaillé pendant quatre ans, le fait qu'une grande station de service public soit aussi une station culturelle était une obsession majeure, qu'il m'a transmise. Tout mon travail a été de tricoter encore plus finement la relation entre les auteurs et la radio. Dans le « 7/9 », il y a des invités politiques, mais aussi des auteurs, parfois deux à trois fois par semaine, aussi bien romancier qu'historien ou sociologue. Nous considérons que la présence d'un auteur peut nous éclairer autant qu'un politique ou une figure de l'économie. Et puis j'ai fait très attention aux figures qui portent le livre. Augustin Trapenard ne prend pas tous les livres qui sortent, il a un goût, qu'il assume, et les auditeurs le savent. Antoine de Caunes, avec « Popopop », ne va pas inviter les mêmes auteurs que Laure Adler, Nagui ou Nicolas Demorand. C'est un travail de dentelle : il y a du livre partout dans la grille, mais pas de la même façon. 

Il y a également eu une série de grands entretiens avec des auteurs américains en amont de la présidentielle aux États-Unis...

Oui, pendant six semaines et ça a fait un tabac. Ce n'était pas forcément les auteurs américains que tout le monde connaît, j'ai personnellement découvert Louise Erdrich, qui ne me quitte plus, ou encore David Joy, un auteur de Caroline du Nord absolument fascinant. Nous avons des conférences de rédaction, chacun fait des propositions, mais ce sont les producteurs et les gens à l'antenne qui valident les choix in fine, et c'est ce qui donne aux émissions leur légitimité.

Les auditeurs de France Inter sont majoritairement des CSP+. Comment fait-on pour intéresser au livre d'autres publics ?

C'est compliqué. Il faut travailler cela à la racine, c'est pour cela que nous avons lancé les podcasts natifs pour les enfants et les parents, pour donner ce goût de la narration, développer l'imaginaire. Et il faut faire attention aux passeurs, aux médiateurs. Augustin Trapenard qui va sur BrutX, il peut accrocher des jeunes qui ensuite viendront sur Inter écouter « Boomerang », puis peut-être un jour l'émission de Laure Adler. Un humoriste comme Guillaume Meurice, très repéré par les jeunes et qui écrit un roman, cela peut aussi les amener vers le livre. C'est un travail de longue haleine, mais il faut y croire.

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