Il faut longer le lac et s'enfoncer dans la forêt. Un temps. Passer les chasseurs, les cueilleurs de champignons et retrouver la lumière. Cette lumière déjà indécise d'un début d'automne, au cœur des Landes, du côté du village de Seignosse. C'est dans une jolie maison blanche à l'orée du bourg qu'Erwan Desplanques, sa femme, Constance, et leurs deux enfants ont choisi de se « réinventer » loin de Paris et de la presse, qui était pour l'un et l'autre, depuis dix ans, leur quotidien. Dans ce pays de sable, de pins et d'océan qui n'était jusqu'alors pour tous deux que celui de l'enfance et des vacances. C'est non loin de là, du côté d'Hossegor, qu'ils ont investi un lieu magnifique, ancienne ferme, pour y ouvrir une galerie aux multiples fonctions dédiées au photoreportage, mais aussi au livre et à tous ses publics. C'est là aussi qu'Erwan Desplanques a écrit ce bouleversant solde de tout compte et bilan générationnel qu'est son deuxième roman, L'Amérique derrière moi (elle est donc, désormais, face à lui). 

Succès foudroyant

Cette Amérique, c'était un peu celle que chantait Joe Dassin, celle de ces fils de la guerre pour qui elle était beaucoup plus qu'un pays, une promesse de salut, une ligne d'horizon. Celle de son père, né en 1943, figure centrale autant que paradoxale de ce livre dont l'américanophilie servit de fil rouge à toute son existence. A Reims où il vivait, maquettes d'avions, Jeep Willys, séries, films, presse locale, jusqu'aux cérémonies officielles, rien n'échappait à ce grand enfant pour qui l'océan
Atlantique était un trait d'union. Puisque la mort saisit le vif, son fils le fige tout au long d'une année particulière où il se meurt d'un cancer tandis que lui-même attend la naissance de son premier enfant. Une année dissipée, passée entre Reims et Paris, entre passé en train de passer et un avenir incertain ; et aussi sur les routes, avec son groupe de rock, Sarah W. Papsun, dont il est le « lead singer » et qui connaît à cette époque un succès aussi foudroyant (50 dates, de Solidays au Printemps de Bourges, un album signé dans une major) que, finalement, malvenu. « L'idée d'écrire ce livre précède un peu la maladie de mon père. Cela a coïncidé avec un moment où j'ai ressenti à son égard comme un attendrissement et où, dans le même temps, j'ai éprouvé le besoin de me plonger dans l'histoire de mes proches, par exemple celle de mon grand-père maternel, Jacques de Montrémy, un psychiatre féru de thérapie alternative, profondément marqué par la guerre comme mon père le sera. »

Il ne s'agissait pas d'écrire ses Mémoires à 38 ans, mais de démêler l'écheveau des origines et des légitimités qu'il s'accorde. Ainsi, le livre est écrit à la lumière des écrivains qui le fondent, Carver, Franzen, Yates, Cheever, mais aussi l'école de Minuit, Carrère ou Ernaux. Pourtant, ce fils d'assureur et d'une professeure de français reconnaît avoir lu très tard. Et que c'est sa rencontre en fac de lettres à Reims avec le futur romancier et éditeur Jean-Baptiste Gendarme qui l'orientera vers la littérature d'aujourd'hui (ils fonderont ensemble la revue Décapage, née fanzine pour étudiants et désormais éditée par Flammarion).

Après, sa vocation sera plus celle de journaliste (« la presse, c'est l'école de la deuxième chance. Elle offre une intelligibilité du monde ») que d'écrivain. Pourtant, un recueil de nouvelles et deux romans signés par lui devraient le rasséréner à ce propos. Ce n'est pas vraiment le cas, tant tout ce qu'il écrit n'est tendu que par un rapport étroit à la vérité, au réel. Et tant pis pour la fiction (« de toute façon, aujourd'hui, la grande fiction populaire, ce sont les séries TV »), et tant mieux pour les livres à venir. 

Erwan Desplanques
L’Amérique derrière moi
L’Olivier
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 16 euros
ISBN: 9782823614244

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