Dans la petite boutique de l’autofiction désormais bien installée dans notre paysage littéraire et trop souvent tenue par des trissotins accablants de narcissisme, Dominique Noguez fait figure de lointain cousin aimable et drôle (ce qui n’est guère le genre de la maison…). S’il sacrifie lui aussi aux aventures du moi, c’est toujours derrière des masques de comédie, même noire, et sans jamais oublier celle des temps.
Ainsi en va-t-il du héros de son nouveau roman, L’interruption, Adrien Delcourt, la petite soixantaine, philosophe qui ne parvient pas à l’être toujours, chercheur à l’EHESS, veuf de celle qui fut son épouse durant trente ans (mais aussi, plus secrètement, d’un garçon rimbaldien parti sans laisser d’adresse), auteur de quelques essais suffisamment remarquables pour l’autoriser à dîner chaque semaine avec son éditeur et meilleur ami et à poser fin, 2003, sa candidature au Collège de France. C’est alors qu’il procède à ses visites rituelles auprès de ses éventuels futurs coreligionnaires, qu’il apprend qu’il est l’héritier d’une maison perdue au fond des bois dans la Creuse, léguée par un vieil oncle oublié. Bref, entre le salon et le désert, très vite, Adrien oscille.
Bien sûr, il est si tentant de faire d’Adrien Delcourt le faux-nez de saison de Dominique Noguez. Si tentant, qu’on ne s’en privera pas. Peut-être l’un pense-t-il comme l’autre que "Baudrillard était un escroc qui s’était toujours trompé. Que Lyotard avait brassé du vent dans les parages de Freud et de Marx réunis. Que Derrida avait été un grand faiseur de jeux de mots. Qu’Onfray est un grossiste en sophismes et à-peu-près" ? Au-delà, comment ne pas souligner la dimension fondamentalement mélancolique de ce livre si drôle et si soucieux d’élégance ? Si, par exemple, les travers et ridicules du Paris littéraire et intellectuel sont moqués, cela doit plus à l’esprit d’un Lubitsch ou d’un Wilder qu’à celui du jeu de massacre. C’est bien de vivre et de la tentation de la disparition dont il est question ici. En une très ancienne et très juste comédie. Olivier Mony