Son célèbre père, l’académicien Goncourt Didier Decoin, n’a pas seulement transmis à son fils, né en 1985, la vocation d’écrivain, mais aussi sa passion pour la mer, entre autres. Julien Decoin est assistant réalisateur de cinéma, encore une des grandes passions de papa. Les deux sont marins, Didier faisant même partie de la confrérie chic des Ecrivains de marine. Quant à Julien, il a joliment dédié son livre : "A mon père, sa mer et ses mots."
Charles, le héros de Soudain le large, n’est pas, lui, un loup de mer, du moins au début. Trentenaire paumé et rêveur qui "vit de tout et de rien", il se trouve sur le port de Cherbourg, où il repêche et sauve une jeune femme, Catherine, tombée à la mer. Accident ou suicide, on ne saura jamais vraiment. De même que lui ne saura jamais vraiment pourquoi il l’a portée sur un voilier inoccupé, lui laissant croire qu’il lui appartenait, et qu’il était marin. La séduction opère, même si la fille s’en va le lendemain matin, et ne donne plus de nouvelles durant une semaine.
Mais Catherine revient, et, cette fois, quelque chose se passe. Ils tombent amoureux. Et elle demeure sur le bateau, à quai, avec lui, à vivre d’amour, de raviolis en boîte et de vin blanc frais. Elle a quitté son job et, fantasque, se sent prête pour une grande aventure, amoureuse et maritime. Même si Charles finit par lui avouer qu’il n’est pas vraiment marin, qu’il n’a jamais navigué, et que "leur" bateau n’est pas à lui. Tout à ses rêves, il s’imagine voguer jusqu’à l’île anglo-normande d’Alderney, pour rencontrer George Martin, le mythique producteur des Beatles, qui y habite. Mais le génial arrangeur est mort.
Catherine repartie régler quelques affaires, s’ensuit une période de grande confusion. Charles disparaît avec son bateau, considéré par les autorités comme un voleur. Vers Alderney ? C’est là que Catherine ira le chercher, tandis qu’il affronte une épouvantable tempête. Il leur faudra bien du temps, et nombre de péripéties qu’on ne dévoilera pas ici, pour finir par se retrouver dans des circonstances évidemment rocambolesques. Quant à la fin, elle ne pouvait être qu’en queue de poisson.
Julien Decoin a du talent et déjà du métier. Une inspiration originale, un petit monde proche à la fois des chansons des Fab Four et des aventures de Tintin. Ce qui frappe est sa profonde tendresse pour ses personnages, abritée derrière un humour farfelu. Une réussite, même si l’on se perd parfois dans les rêves brumeux de Charles. Après tout, ça se passe dans la Manche. Jean-Claude Perrier