Chacun a déjà éprouvé ce sentiment : un même paysage peut paraître magnifique ou sinistre selon notre humeur. Si le désespoir ou la joie d’un texte nous touche, c’est parce qu’il entre résonance avec notre mélancolie ou notre bonheur du moment. Cette relation au monde, Hartmut Rosa la nomme résonance. Il en a tiré un concept dans un livre trapu, dans la lignée critique de l’Ecole de Francfort dont il est issu. Cette résonance dont il présente ici toute la richesse serait pour lui le remède à l’accélération qu’il avait exposé dans un précédent livre traduit dans une quinzaine de langues et qui dépassa les 10?000 exemplaires en 2010 à La Découverte.

Après les rythmes de vie, ce brillant sociologue s’intéresse aux qualités de vie. Comme toujours, il affine son concept avec quelques passages un peu rudes, mais toujours en prenant des exemples concrets de la vie quotidienne. La résonance peut ainsi s’illustrer avec la madeleine de Proust. C’est elle qui fait revenir le passé du narrateur à la surface et lui fait prendre conscience de sa place, de sa résonance avec le monde.

Pourtant, explique Rosa, « il n’existe pas de modèle prêt à l’emploi » pour parvenir à cette résonance idéale, pour transformer la relation au monde d’une société. Les articles et entretiens parus dans Philosophie magazine et publiés sous le titre Remède à l’accélération constituent une bonne introduction à cette œuvre dans laquelle la sociologie et la philosophie sont intimement mêlées.

Ce penseur allemand qui commence à prendre une importance considérable se révèle moins pessimiste qu’Adorno et plus universel que son maître Axel Honneth avec sa notion de « reconnaissance ». « Si le problème est l’accélération, alors la résonance est peut-être la solution. » Cet outil apparaît comme le « métacritère » de la vie réussie, qui opte pour l’assimilation plutôt que pour la domination.

Cette vie bonne ne passe pas par la quantité, elle s’exprime par la qualité de cette vibration. « La possession de toutes les ressources nécessaires ne garantit pas plus une vie réussie qu’elle ne suffit à produire une œuvre d’art. » Pour Rosa, les sociétés modernes « ne peuvent se stabiliser que de façon dynamique ».

Dans un processus d’accélération effréné et d’accroissement sans fin, la résonance s’impose moins comme une pause que comme la façon d’éprouver l’intensité du moment, même s’il reste bref. « L’intégrité ou l’échec des rapports au monde constitue le fondement d’une vie réussie ou ratée. »

Nous sommes loin de la vogue des guides de développement personnels qui développent avant tout les profits de leurs auteurs. Hartmut Rosa ne fournit pas une méthode, mais une explication. Le point commun avec les spécialistes du bonheur est de considérer que la qualité de la vie humaine ne se mesure pas simplement aux ressources dont nous disposons et aux options qui s’offrent à nous. Quelque chose d’autre entre en jeu. Mais les solutions proposées sont très différentes. Hartmut Rosa a trouvé une clé. Il n’a jamais prétendu qu’elle ouvrait toutes les serrures.