Société misogyne, conjoints violents, harcèlement au travail... La libération de la parole des femmes sur les violences qu'elles subissent au quotidien a donné naissance à une myriade de récits à paraître à la rentrée. La mise en mots de ces blessures, diffuses ou vivaces, guéries ou à vif, empêche les victimes de tomber dans l'oubli et révèle l'enchevêtrement complexe de la domination masculine, évidente dans sa violence ou dissimulée dans les mœurs et les normes.
Elle se manifeste d'abord à l'enfance, au sein de la famille, comme le narre Marie-Pier Lafontaine dans son premier roman, Chienne (Le Nouvel Attila, août). Un homme y soumet ses deux filles aux coups, aux insultes et aux humiliations. La narratrice se reconstruit grâce à la littérature. La figure du père violent est récurrente. Dans La laveuse de mort, de Sara Omar (Actes Sud, septembre, traduit du danois par Macha Dathi), le géniteur menace de tuer sa fille car il aurait préféré avoir un garçon. Même absents, les pères et les maris hantent et tourmentent les femmes, comme celles des Grandes poupées de Céline Debayle (Arléa, août), pourtant réfugiées loin d'eux.
La famille est aussi le lieu où s'épanouissent les traditions, puissants vecteurs de la reproduction des dominations. Les impatientes, de Djaïli Amadou Amal (Emmanuelle Collas, septembre), suit le destin tragique de trois femmes vivant au Sahel mariées de force. L'héroïne de Ma vie de cafard (Joyce Carol Oates, Philippe Rey, septembre, traduit de l'anglais par Claude Seban), pour avoir dénoncé, à 12 ans, le meurtre d'un Afro-américain par ses grands frères, est chassée de sa famille et bannie de son environnement social. Dans la hiérarchie familiale, les hommes sont intouchables, et les femmes doivent se taire. C'est aussi ce que raconte Les femmes n'ont pas d'histoire, d'Amy Jo Burns (Sonatine, octobre, traduit de l'américain par Héloïse Esquié), dont le récit retrace la vie de la jeune Wren, élevée dans un village de Pennsylvanie sans espérance, où les femmes sont sommées d'obéir, sous peine d'exil de la communauté.
Aucun répit
Arrivées à l'âge adulte, les femmes sont exposées à la conjugalité toxique et à son emprise graduelle, tissée comme un cocon par les hommes qui partagent leur vie. A trop aimer d'Alissa Wenz (Denoël, octobre) observe la lente transformation d'un amour éperdu en enfer à mesure que le conjoint devient toujours plus irritable et violent, au point de broyer la narratrice. Sale bourge, de Nicolas Rodier (Flammarion, septembre) prend le point de vue du mari violent, élevé dans une famille versaillaise aisée et persuadé d'être dans son bon droit. Le récit donne la preuve que l'extraction et les origines ne sont pas déterminantes dans ce phénomène, qui touche toutes les classes sociales.
Famille, couple et... travail. Les femmes ne trouvent ni répit, ni sanctuaire, pas même dans leur labeur. Dans Sept gingembres, de Christophe Perruchas (Rouergue, août), Antoine, publicitaire de 42 ans, reçoit la visite d'un inspecteur du travail au sujet de la tentative de suicide d'une employée. La procédure ne l'inquiète pas, mais il est bientôt rattrapé par une vague de témoignages sur les violences sexistes qu'il commet au bureau. Viens que je t'adore, de Kate Elizabeth Russell (Les Escales, octobre, traduit de l'anglais), se penche, de son côté, sur les abus commis par les membres du corps enseignant. En 2017, un professeur d'anglais est accusé d'abus sexuel par une ancienne élève. La narratrice, impliqué dans une relation avec ce même enseignant à l'adolescence, replonge dans son passé et découvre les racines d'un traumatisme.
Vengeance
Violentées, abusées, harcelées... Excédées, certaines femmes pourraient décider de retourner la violence contre leurs agresseurs. Des récits cathartiques, fantasmatiques ou simplement jouissifs, laissent couler cette colère, magmatique. Celle des bien nommées Orageuses de Marcia Burnier (Cambourakis, octobre), une bande de filles ordinaires, va les conduire à reprendre leur vie en main et partir en quête de leur propre justice après avoir été violées. Louise, héroïne du roman éponyme de Gilbert Castagna (Onde, septembre), s'engage dans une voie radicale en devenant tueuse en série pour se venger de l'homme qui l'a violée, elle et son amie. Enfin, dans Les Petrov, la grippe, etc, d'Alexeï Salnikov (Syrtes, août, traduit du russe par Véronique Patte), une mère de famille et bibliothécaire se trouve prise dans une spirale assassine qui la pousse à tuer des hommes ayant fait du tort à d'autres femmes.