18 JANVIER - LITTÉRATURE France

Patrick Modiano en 1966- Photo DR/L'HERNE

Pour les amateurs de l'univers lancinant de Patrick Modiano, les rentrées de janvier sont décidément réjouissantes. Après avoir plongé l'année dernière avec le plus grand intérêt dans l'enquête de Denis Cosnard (Dans la peau de Patrick Modiano, Fayard), lequel s'attachait à éclairer les zones d'ombre de la biographie de l'auteur de Villa Triste, voici que l'on s'apprête aujourd'hui à dépiauter le passionnant « Cahier de l'Herne » qui lui est consacré.

Dirigé par Maryline Heck et Raphaëlle Guidée, ce travail remarquable revient sur "plus de quarante années d'écriture et quelque vingt-cinq romans et récits", offrant au lecteur un parcours guidé à travers l'oeuvre "réputée monocorde - à tort" d'un homme entré en littérature à 23 ans, quand "déjà sa mémoire précédait sa naissance". On trouvera ici maintes pépites. A commencer par La vie collective est étouffante. Un étonnant texte de mai 1961, rédigé lorsque le jeune Patrick était pensionnaire au collège Saint-Joseph de Thônes, en Haute-Savoie, et qu'il apprenait du mieux qu'il pouvait à se familiariser "avec l'ennui".

Le copieux volume fourmille de témoignages précieux sur un écrivain "né chez Gallimard", à en croire Robert Gallimard qui fut son premier éditeur ainsi qu'un ami. Ne pas rater le texte qui se penche sur le Modiano préfacier de Marcel Aymé, Joseph Roth ou François Vernet. Ou la grande interview accordée à Antoine de Gaudemar, où Modiano explique que le cinéma lui a appris "des techniques romanesques". Encore moins la pièce de choix : une nouvelle méconnue, et modianesque en diable, Le temps, qui date de juillet 1983.

On s'attardera aussi sur les pertinentes analyses quant à la place et l'importance de Dora Bruder (Gallimard 1997, repris en "Folio") dans sa bibliographie - et les rapports pour le moins complexes que Modiano eut alors avec Serge Klarsfeld. Parmi les plus remarquables contributions du lot, on ne peut que saluer celles de Didier Blonde, de Fabrice Gabriel ou de Pierre Pachet. Marie Darrieussecq, quant à elle, tord le cou avec intelligence à tous les clichés d'usage parfois employés à propos de Modiano, soulignant au passage la force de son "écriture bien tempérée", de son "écriture à vif".

On l'aura compris, l'ensemble brosse un passionnant portrait en creux du "Saint-John Perse du roman", pour reprendre le mot de Romain Gary après sa lecture de Rue des boutiques obscures (prix Goncourt 1978). Un sauvage, un obsessionnel capable de rester immobile pendant des heures, un infatigable piéton de Paris. Un "détective métaphysique", selon Dominique Zehrfuss, son épouse et complice depuis septembre 1970.

Quand on l'interroge sur la conception d'un "Cahier" dont l'iconographie est également des plus soignées, Maryline Heck explique que l'écrivain s'est montré très généreux, en confiance, avec elle et Raphaëlle Guidée qu'il a reçues chez lui pendant de longs après-midi. Patrick Modiano, dit-elle, a accepté toutes leurs propositions, leur a fait quelques suggestions, leur a donné des pistes, leur a ouvert documents et correspondances. Le résultat ne peut que réaffirmer haut et fort l'importance et la pertinence d'un prosateur qui n'a manifestement pas fini de traquer les fantômes.

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