Tout est parti d’une photographie banale, presque champêtre, de personnes pelles et pioches à la main. Devant eux, des ossements et des crânes alignés comme des trophées. Nous sommes à Treblinka et ce petit groupe de Polonais, encadré par des militaires, fouille le sol pour y trouver des dents en or, des bijoux, tous ces biens juifs qui auraient pu rester dans ces sépultures à ciel ouvert.
Le commentaire de ce document, paru en 2008 dans la presse polonaise, est une occasion pour l’historien d’expliquer cette pratique qui inspira à Thierry Jonquet un saisissant « Série noire » intitulé Les orpailleurs (Gallimard, 1993). Jan Tomasz Gross revient aussi sur les conditions de la Shoah et la complicité des populations polonaises, ukrainiennes et lituaniennes. Il évoque cette sordide ruée vers l’or près des camps où les juifs avaient été dépouillés de tout avant d’être exterminés. Après la guerre, une partie de ces populations n’eut aucun scrupule à fouiller cette terre sans nom, sépulcrale et mémorielle, pour y rechercher encore et toujours l’or des juifs.
C’est autour de ce délire que s’est catalysée la haine. Car à partir du moment où la politique d’extermination de tous les juifs fut engagée, il était encore possible d’agir. « Beaucoup de gens auraient pu faire quelque chose ou, en fait, ne rien faire. Avec pour résultat que des centaines de milliers de vies juives auraient pu être sauvées. » Dans cette étude qui se lit comme un reportage, Jan Tomasz Gross investit la périphérie de la Shoah en montrant que ce pillage fut moins une activité criminelle qu’une pratique sociale. Il en tire un livre bref où s’imposent le dégoût et l’effroi.
Auteur de nombreux travaux consacrés à l’après-guerre en Europe centrale dont La peur (Calmann-Lévy, 2010) et Les voisins (Fayard, 2002), professeur à l’université de Princeton, Jan Tomasz Gross se distingue par une méthode efficace et une écriture limpide qui laisse voir toute l’horreur des situations sans avoir besoin d’en rajouter. « La Shoah est aussi une confrontation entre institutions et populations civiles de l’Europe occupée et les Juifs qui vivaient dans ces pays depuis des générations. »
A un moment où l’antisémitisme retrouverait en France une audience au travers de manifestations aussi bêtes que méchantes, un tel ouvrage s’avère salutaire pour rappeler la réalité et la démesure des faits. Car c’est encore et toujours cette obsession de l’or des juifs qui a conduit des gens à fouiller les cendres des camps tout comme c’est la conviction d’un complot mondial qui a conduit à leur extermination. La photographie expliquée par Jan Tomasz Gross rappelle cela avec une évidence glaçante.
Laurent Lemire