Ça se passe en Ardèche. Ouvrier chez Deleter, leader européen de l’ouvre-boîtes et de la clé à sardines, Philippe Moline, dit Flip, broie du noir. Mettant en images un récit de Jean-François Hautot, David Prudhomme le représente d’ailleurs comme une ombre, souvent effilée jusqu’à l’effacement, parfois emplie d’angoisse, souple comme une anguille ou au contraire paralysée, voire liquéfiée par la peur. Son amie, pour laquelle il bâtissait patiemment une tour Eiffel en clés à sardines subtilisées à l’usine, le quitte. Le lendemain, plutôt que de descendre du bus à l’entrée de l’entreprise, il y reste jusqu’au dépôt.
Commence une errance en compagnie d’un pittoresque, déjanté et passablement alcoolique joueur de djembé, qui embarque Flip dans sa voiture pour une équipée de plus en plus inquiétante alors que survient la nuit. Au même moment, le P-DG de Deleter a brutalement mis la clé sous la porte. Laissant ses salariés sur le carreau, il cherche, avec la complicité du DRH de l’entreprise, à fuir pour Malte avec l’argent tiré de la vente des machines, mais il est poursuivi par les salariés en colère. Entre road comics et comédie sociale, Mort & vif fait se croiser à plusieurs reprises dans la nuit les trajectoires du patron voyou, peu à peu acculé, et de l’employé toujours plus perdu à mesure que le joueur de djembé l’éloigne de ses repères.
Pas facile de s’extraire d’une boîte (de clés) à sardines. David Prudhomme le fait ressortir à travers une construction graphique passionnante. A peine séparées entre elles par un mince filet, les quinze cases de chaque planche s’articulent dans des dispositifs chaque fois différents. Elles sont juxtaposées pour multiplier les cadrages et accélérer le passage du temps, ou au contraire associées par deux, trois, six ou plus pour composer un même ensemble. Elles constituent autant de boîtes de sardines dans lesquelles s’agitent vainement des êtres prisonniers d’un quotidien qui ne leur laisse guère d’échappatoires.
Fabrice Piault
