L'utopie de l'amour. On connaît la carte de Tendre, mais que sait-on de la région de l'Amour ? Katariina Vuori, Finlandaise, ignorait totalement l'existence de ce vrai bout du monde, en Extrême-Orient, après la Russie, lorsqu'il n'y a plus que la mer en face, et, encore plus loin, le Japon. Elle le découvre dans un livre, cet Amur, traduit « Amour » en français, les yeux rivés sur la photo d'une clôture de terrain en coquillages et en os de baleine prise là-bas il y a quelque 150 ans. L'effet est immédiat : une révélation, mieux, un coup de foudre. L'artisan de la clôture et propriétaire du jardin, objet du présent livre Le capitaine fantôme, se prénomme Fridolf Höök. Katariina Vuori s'amourache littéralement et littérairement de cet homme, chasseur de baleines, avec qui elle va dormir, rêver, et qu'elle tutoie à l'envi dans le texte - parce qu'il lui échappe d'abord, par la variété des sources, le patronyme orthographié avec fantaisie, les variations de la date de naissance. Fridolf Höök s'est embarqué à bord d'un brick avec cinquante hommes et femmes en 1868 pour « fonder quelque part dans l'Est sauvage une colonie finlandaise, une utopie communiste ». Quatre ans avant que Phileas Fogg, le personnage inventé par Jules Verne, ne fasse le pari de son tour du monde en quatre-vingts jours. La famine qui fait rage à la lisière du cercle arctique ces années-là fait scintiller l'Amour comme un eldorado. Mais l'utopie va capoter ; Höök mourra en 1904, à l'âge de 67 ans, dans cette région, l'Amour, où « ton corps repose toujours », écrit Katariina Vuori.
L'autrice, femme de lettres primée dans son pays, voulait écrire « un ouvrage beaucoup plus conventionnel sur ce personnage historique » avant que « l'appel du passé » ne résonne avec force. L'enquête, dans les archives, la renvoie à son utopie à elle, sa « colonie idéale » : un voilier long de onze mètres et demi. Entre 1997 et 2002, elle va sillonner les mers du globe. Son capitaine d'alors s'appelle Nick. Elle le rencontre à Mindoro, aux Philippines. L'Australien, la Finlandaise et leur chat singapourien ne se quitteront qu'au terme du voyage, lorsque le temps et la promiscuité auront mis le couple à l'épreuve - et le chat dans une urne...
Mais quelle personnalité extraordinaire que ce Fridolf Höök ! Un polymathe, un curieux du genre touche-à-tout comme Léonard de Vinci, dont la trajectoire, mêlée à la vie de l'autrice, donne un texte à la croisée du récit d'exploration et du roman d'aventures. Les utopies, leurs moteurs, leurs contours, sont au cœur de l'ouvrage. Pourquoi « doivent-elles être transportées si loin ? »
On pense, du côté finlandais, à l'atmosphère des Guerriers de l'hiver, le dernier Olivier Norek, pour ce qui relève de « l'étrange cohabitation de la Finlande et de la Russie ». On songe aussi à l'obsession de l'Américain David Grann pour les destins tragiques : ceux des marins du Wagner mais aussi Percy Fawcett dans La cité perdue de Z ou Henry Worsley dans The White Darkness. On n'échappe pas non plus au capitaine Achab de Melville - dès que l'on parle de baleinier, forcément. Et on aime plus encore qu'avant les mentions légales, la belle et courageuse maison Marchialy, qui porte tant de textes d'exception, verse cette discrète confidence : « Le Capitaine fantôme vogue sur le 66e parallèle des éditions Marchialy. Il nous rappelle que l'utopie est semée d'embûches mais qu'elle vaut d'être vécue. »
Le capitaine fantôme : sur la mer, vers le passé
Editions Marchialy
traduit de finnois par Taïna Tervonen
Tirage: 0
Prix: 23,00 €
ISBN: 9782381340623