Adieu aux jolies choses. New York, été 2006. La ville qui ne dort jamais demeure réveillée cinq ans après la nuit blanche du 11 septembre. Partout poussent les constructions de toutes sortes, gratte-ciel mais aussi églises, écoles, refuges pour sans-abri. Immeubles et terrains vagues se répondent dans une dialectique qui est propre depuis toujours à Big Apple. Gay Talese, le pape américain de la narrative nonfiction, est dans la place et observe cela d'un œil toujours vif... L'un des milliers de ces terrains vagues qui poussent comme les champignons à l'automne attire plus particulièrement son attention. Numéro 34, 62e rue, entre Madison et Park Avenue, six mètres sur trente... Avant, il y avait là non un vide, mais un trop-plein. Une demeure cossue du xixe siècle, singeant le style grec. Elle appartenait à un médecin de 66 ans, un certain Nicholas Bartha, qui préféra se faire sauter avec sa maison plutôt que de déférer aux injonctions de la justice lui intimant de payer à son ex-femme, dans le cadre d'une procédure de divorce, la somme de quatre millions de dollars. Bartha, Bartleby, « I would prefer not to », donc... Pendant dix-sept ans, Gay Talese (dont les lecteurs n'ignorent pas la délicieuse tendance à la monomanie) s'attacha à cette histoire, à celle surtout de ceux qui, avant Bartha, occupèrent ces lieux, arrivistes, immigrants de plus ou moins fraîche date, financiers russes et autres. Un camaïeu résumant à lui seul toute l'histoire de l'Amérique.
Cette histoire est l'une des trois qui composent Bartleby & moi, le dernier recueil de Gay Talese (dans les deux autres récits, l'auteur revient tout aussi brillamment sur quelques vieilles obsessions, Sinatra, Manhattan ou Wall Street). Talese ne cache pas qu'eu égard à son âge - il a 93 ans - ce livre devrait aussi être le dernier... Cela confère à ce Bartleby & moi une tonalité crépusculaire, un côté adieu aux armes et aux jolies choses qui serre la gorge. Mais si la mélancolie est bien là, nul passéisme rétrograde, nulle affliction égotiste ne viennent corrompre la beauté de ces pages. Qu'importe ses artères, la plume de Talese reste toujours aussi affûtée, comme sa curiosité devant les manifestations du vivant. Y compris au cœur de ce sublime cimetière que sont New York et l'Amérique.
Bartleby & moi
Éditions du sous-sol
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Michel Cordillot
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 24,50 € ; 304 p.
ISBN: 9782386630439
