Avant-critique Essai

Jonathan Haidt, "Génération anxieuse" (Les Arènes)

Jonathan Haidt - Photo © Jayne Riew

Jonathan Haidt, "Génération anxieuse" (Les Arènes)

Dans une vaste enquête, le psychologue américain Jonathan Haidt montre les méfaits des smartphones sur la santé mentale des enfants.

Parution 16 janvier

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Par Laurent Lemire
Créé le 19.01.2025 à 11h00

L'enfance sans fil. Aux États-Unis, dans les années 1990, les parents s'inquiétaient des dangers du monde extérieur pour leurs enfants. L'apparition du téléphone portable fut une aubaine. Grâce à cet appareil, ils pouvaient les joindre ou être appelés en cas de problèmes. Puis ce téléphone est devenu smartphone. Le danger était désormais dans leurs poches, mais les parents ne changèrent pas d'attitude et les enfants furent happés. Ce paradoxe est au cœur de l'étude fouillée de Jonathan Haidt.

Psychologue social à l'université de New York, il étudie la morale, les émotions et la culture. Et sa conclusion sur les méfaits des écrans est sans appel : une vague de dépressions, d'actes d'automutilation et de suicides qui touche davantage les filles que les garçons. Cette génération anxieuse livrée aux réseaux sociaux est la génération Z, celle née après 1995. « Les jeunes de la génération Z sont les premiers de l'Histoire à traverser la puberté avec un portail en poche qui les éloigne de leur entourage et les attire dans un univers alternatif excitant, addictif, instable et inapproprié pour les enfants et les adolescents. »

Ces « cobayes d'une éducation totalement inédite » sont les victimes d'un « Grand Recâblage de l'enfance ». Cette enfance sans fil, sans liens affectifs autres que virtuels, est confisquée par une technologie non maîtrisée. Il ne s'agit pas pour lui que de tirer la sonnette d'alarme sur les méfaits des écrans en termes d'attention, mais de montrer ses dégâts cognitifs dans cette période de la vie. Avec l'IA générative, les risques sont encore plus grands car les ados seront accros non plus aux potes du bahut mais aux robots pilotés par les algorithmes. Le flux numérique agit comme un écran total. Il empêche de prendre la lumière juvénile, il assèche cette précieuse étape d'apprentissage et de jeu, il enferme sur soi au lieu d'ouvrir sur les autres.

Très étayé par des études anglo-saxonnes, le livre n'en concerne pas moins notre Europe soumise elle aussi aux diktats des écrans. Dans la dernière partie, Jonathan Haidt fournit des solutions simples et peu coûteuses pour contrer cette vie numérique qui « nous tire vers le bas en changeant notre façon de penser, de sentir, de juger ou d'entrer en relation avec autrui ». Elle ne dépend que du bon vouloir des professeurs, des pouvoirs publics et bien sûr des géants de la tech qui, eux, ont tout intérêt à maintenir ces addictions. Ajoutons-y la responsabilité des parents qui, par l'éducation, ont le devoir de sortir leurs enfants du virtuel pour les ramener sinon à la raison, du moins à la maison. À moins que cette génération Z sacrifiée sur l'autel de la technologie prenne elle-même conscience de ce recâblage pour s'en libérer. Elle possède tous les atouts pour le faire afin d'éviter de transmettre sa dépendance à la suivante. Cette enquête ne surfe pas sur la catastrophe, elle la décrit cliniquement. Après sa lecture, on se dit qu'il est grand temps d'agir. Mais comme pour le réchauffement climatique, encore faut-il le vouloir.

Jonathan Haidt
Génération anxieuse
Les Arènes
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jenny Bussek
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 24,90 € ; 448 p.
ISBN: 9791037513090

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