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Jiri Benovsky : « Il nous faut apprendre à cohabiter avec les intelligences artificielles »

Philosophe de formation, Jiri Benvosky publie des livres de vulgarisation philosophique. « Philo fiction » est paru en mai dernier aux éditions Presses universitaires de Rennes. - Photo DR

Jiri Benovsky : « Il nous faut apprendre à cohabiter avec les intelligences artificielles »

Pour réaliser les illustrations de sa BD jeunesse Mathis et la Forêt des possibles (une coédition Locus Solus/Presses universitaires de Rennes), à paraître ce 30 juin, Jiri Benovsky s’est appuyé sur l’intelligence artificielle Midjourney. Un usage vivement critiqué sur la Toile, que l’auteur a souhaité justifier dans les colonnes de Livres Hebdo

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Par Elodie Carreira
Créé le 29.06.2023 à 17h20 ,
Mis à jour le 29.06.2023 à 21h59

Pourquoi avez-vous choisi de recourir à l’intelligence artificielle pour réaliser les illustrations de Mathis et la forêt des possibles ?

Avant de vouloir travailler avec l’intelligence artificielle Midjourney, j’ai d’abord été dans une démarche de vulgarisation scientifique. D’habitude, je publie des livres pour les adultes. Cette fois-ci, je voulais proposer aux enfants une histoire qui leur offrirait des morceaux de philosophie. Cela faisait plusieurs années que j’avais en tête le scénario du petit Mathis dans la Forêt des possibles, pour parler des questions liées à l’identité et à la nature du temps. Quand j’ai voulu me lancer dans le projet, j’ai essayé Midjourney et j’ai rapidement réalisé que travailler avec l’outil était à la fois difficile et passionnant. Ce sont les deux mêmes raisons qui font que j’aime la philosophie, que je pratique l’alpinisme et que je joue de la guitare. Je n’ai aucun talent de dessinateur, je me vois surtout comme un écrivain et un philosophe. Pour moi, c’est l'histoire qui compte. Un album illustré est avant tout un objet narratif. Les images sont au service de cette narration. Ce que je propose, c’est une bonne histoire qui délivre un enseignement philosophique aux enfants.

Comment avez-vous travaillé avec l'outil ?

Midjourney produit de très belles images, même avec des commandes textuelles relativement simples. Ce qui est difficile, c’est de créer une suite d’images cohérentes, de représenter les personnages sous des expressions variées et d’obtenir des images qui se ressemblent suffisamment pour constituer une histoire. Midjourney est un outil fascinant, mais il est aussi très limité. On le sait, les intelligences artificielles facilitent certaines tâches mais sont compliquées pour d'autres. Les outils comme Midjourney ou Stable Diffusion ne sont pas faits pour créer une BD, mais plutôt pour fabriquer rapidement une image unique et pas chère. Par conséquent, il m’a fallu ruser et faire du post-traitement Photoshop pendant 6 à 7 mois pour que le résultat soit utilisable. Et bien sûr, il est largement perfectible, mais j’ai adoré relever tous les défis techniques et vivre l’intégralité de ce processus de création.

« Les outils comme Midjourney ne sont pas faits pour créer une BD »
 

La nouvelle d’une BD entièrement illustrée par l’IA a suscité de nombreuses réactions, surtout sur les réseaux sociaux. Comment les avez-vous reçues ?

Je comprends les réactions et les craintes, je m’y attendais. Mais je dois dire que j’ai reçu autant de réactions positives que négatives. J’ai eu le bonheur et la satisfaction de voir des visages d’enfants, plongés dans la lecture, et qui me posaient des questions ensuite. Sur mes réseaux sociaux et surtout ceux de mon éditeur, les réactions étaient davantage négatives. Ce n'est pas surprenant qu’une nouvelle technologique crée quelque chose de clivant. On doit l’apprivoiser et apprendre à vivre avec. Avec ma démarche, je soulève des questionnements et j’en suis ravi. Je préférerais juste que ceux qui critiquent, et ils en ont le droit, aient lu l’ouvrage.


Pourquoi ne pas avoir sollicité un illustrateur humain ?

Cela aurait été possible mais quand il s’agit de travail d’écriture et de création, j’aime travailler en solitaire. Dans mon travail académique, comme dans mon travail de photographe, j’ai tendance à vouloir maîtriser toute la chaîne de production. Pour l’album illustré, il s’agit d’inventer l’histoire, d’y insérer de la vulgarisation scientifique, d’écrire le texte, de générer les images, d’importer l’ensemble dans InDesign et dans Illustrator pour la mise en page. C’est un travail qui se fait d’ordinaire par une équipe de plusieurs personnes mais je suis fait comme ça : j’aime maîtriser moi-même toutes les étapes de création.
 

« J'aime maîtriser moi-même toutes les étapes de création »
 

L’utilisation croissante de l’intelligence artificielle, jusque dans l’édition, inquiète de nombreuses professions du milieu. Pas vous. Pourquoi ?

De manière générale, je pense que l’humanité se trouve ici à un point pivot de son existence. L’accélération du développement des nouvelles technologies va si vite que nous courons après et sommes souvent dépassés. Dans cet album, j’ai écrit une postface où j’explique qu’il nous faut apprendre à cohabiter avec les intelligences artificielles, qui vont imprégner tous les domaines de notre vie. Il y a là des questions qui dépassent de loin le monde de l’édition. Certains métiers sont plus exposés que d’autres. Pourtant, quand la photographie a émergé, elle n’a pas fait disparaître le métier de peintre. Tout comme les gros blockbusters de type Matrix, dans lesquels tout ou presque est filmé sur écran vert, n’ont pas fait disparaître les court-métrages d’auteur. Les deux ne sont pas contradictoires et peuvent coexister. Il va y avoir des œuvres faites uniquement par des humains, des œuvres uniquement faites par des IA et d’autres qui seront hybrides. Et chacune aura quelque-chose à dire. L'existence de chacune des œuvres, avec ses points forts et ses faiblesses, valorisera l'existence des autres.

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