Accabadora, le titre du précédent roman de Michela Murgia, sonnait comme la formule magique "abracadabra". Cette fée sarde aime transformer sa plume au gré des intrigues. Ici, elle se fait contemporaine et épurée pour aborder l’histoire d’une rencontre. Celle d’Eleonora, une femme "au seuil de la quarantaine", et Chirú, un jeune violoniste. "Son regard trahissait une blessure." L’héroïne perçoit en lui un "déchet rescapé d’une longue dérive, une odeur de pourriture", qui n’est pas sans rappeler la sienne. Celle d’une enfant ne parvenant pas à trouver sa place parmi les siens. A ses yeux, ils représentent "un groupe d’étrangers du même sang enfermé dans un jeu de survie". Coincée dans un village, obnubilée par la beauté de sa mère, Eleonara désire fuir cet univers étriqué.
Direction Rome, où elle devient l’amie et l’amante de Fabrizio. Il est metteur en scène, elle est comédienne. Un duo indissociable aimant tirer les ficelles des apprentis de la vie. Eleonora prend ces derniers sous son aile, mais elle ne se sent pas capable de s’ancrer dans l’amour ou la maternité. Cela l’amuse toutefois de voir évoluer de jeunes pousses dans divers domaines, y compris l’habillement. Chirú incarne un candidat parfait. Il doit faire ses premiers pas dans le monde artistique, mais ses balbutiements et ses mots francs renvoient Eleonora à ses propres failles. "Tu es malheureuse, mais d’un malheur qui te va bien."
Derrière cette femme qui rêve d’"offrir la conscience" à Chirú, il y a une volonté peu charitable, puisqu’elle agit en coulisse avec son acolyte Fabrizio. Un duo s’amusant de l’évolution de poulains. Il y a comme un air de Choderlos de Laclos dans cette façon de vouloir tailler un être sur mesure.
Chaque chapitre du livre équivaut à une leçon. Un apprentissage du "langage des sentiments" qui peut basculer à tout instant, parce qu’il "est impossible de prévoir le bruit que produisent les certitudes quand elles se brisent". Surtout si l’amour s’en mêle. K. E.
