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Jeune et Joseph : la saga des Gibert

Gibert Jeune sur la place Saint-Michel en 2015. - Photo Olivier Dion

Jeune et Joseph : la saga des Gibert

Alors que le tribunal de commerce de Paris devait se prononcer, jeudi 1er juin, sur l’offre de reprise de Gibert Jeune par Gibert Joseph, Livres Hebdo retrace l’histoire des deux grandes librairies cousines à l’heure de leur réunification après presque quatre-vingt-dix ans de rivalité.

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Par Clarisse Normand,
Créé le 02.06.2017 à 01h32 ,
Mis à jour le 05.06.2017 à 09h13

Nés de la scission d’une librairie fondée à la fin du XIXe siècle, les groupes Gibert Joseph et Gibert Jeune, repères pour des générations d’écoliers et d’étudiants, n’ont jamais été aussi proches de se réunifier. Après avoir ouvert, le 26 avril, une procédure de redressement judiciaire accélérée, dite "prépack cession", le tribunal de commerce de Paris devait valider, jeudi 1er juin, l’offre de reprise des actifs de Gibert Jeune par Palidis, la holding de tête de Gibert Joseph. Cette réconciliation familiale permet de constituer un groupe de librairies pesant près de 115 millions d’euros dans le livre et dont les points de vente phares et rivaux, situés au Quartier latin, sont les deux premières librairies de Paris (1).

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Bouquiniste

Tout commence en 1886 lorsque Joseph Gibert père, ancien séminariste devenu enseignant à Saint-Etienne, vient dans la capitale pour s’installer, à 35 ans, comme bouquiniste sur le quai Saint-Michel, dans le 5e arrondissement. Situé à proximité de l’université de la Sorbonne et du Quartier latin, son négoce rencontre d’autant plus vite le succès qu’il a la bonne idée de se spécialiser dans le livre scolaire d’occasion au moment où l’enseignement devient obligatoire et gratuit. Dès 1888, il traverse la rue et inaugure une vraie boutique au numéro 27 du quai Saint-Michel. A sa mort, en 1915, ses deux fils, l’aîné Joseph et le cadet Régis, reprennent les rênes de la boutique. Toutefois, en 1929, les deux frères se séparent. Alors que Régis Gibert garde la librairie paternelle, rebaptisée Gibert Jeune, Joseph Gibert part s’installer sous son nom au 30, boulevard Saint-Michel, Paris 6e. Anciens associés, les deux frères deviennent concurrents, d’autant plus qu’ils sont voisins et tous deux spécialisés dans le livre d’occasion, notamment scolaire et universitaire.

Pourtant leurs stratégies de développement divergent vite. Joseph Gibert mise en priorité sur son nouveau magasin, dont il agrandira progressivement la surface jusqu’à la porter à 3 600 m2, alors que Régis Gibert ouvre dès 1934 un deuxième point de vente dans un autre quartier de Paris, boulevard Saint-Denis (2e). Il y innove en créant le premier libre-service du livre français, inspiré d’un modèle anglo-saxon.

Dans le même temps, les deux frères se lancent dans l’édition. Sous le label Librairie Joseph Gibert, l’aîné édite des textes de grands auteurs classiques, des précis de littérature, ou encore des tables de logarithmes. Gibert Jeune, lui, mise sur des publications tendant vers la bibliophilie avec des ouvrages de littérature classique illustrés et d’autres consacrés à de grands peintres. Pour le premier, l’aventure éditoriale dure jusque dans les années 1950, pour le second elle ne s’arrêtera qu’en 1979. Toutefois, pour l’un comme pour l’autre, elle reste marginale à côté de leurs librairies qui s’ouvrent peu à peu à tous les domaines éditoriaux.

Avec le développement de la gratuité des manuels, d’abord dans les écoles, puis dans les collèges et enfin, au début des années 2000, dans les lycées, les deux groupes sont aussi amenés à diversifier leur offre. Mais, alors que Gibert Jeune n’intègre guère que la papeterie, Gibert Joseph s’ouvre aux disques et à la vidéo. Au début des années 2000, le scolaire ne représente plus que 13 % du chiffre d’affaires de Gibert Joseph, contre 30 % de celui de Gibert Jeune.

Expansion

Par ailleurs, dès les années 1950, Gibert Joseph joue la diversification géographique en ouvrant des magasins en province. En 2001, le groupe passe même à la croissance externe. Il rachète la librairie des Puf, sa voisine sur le boulevard Saint-Michel, côté 5e, aujourd’hui disparue. Puis il reprend l’enseigne Univers du livre, qui compte une demi-douzaine de points de vente, notamment dans des centres commerciaux. Faisant évoluer prudemment son parc de magasins, le groupe est aujourd’hui présent dans 17 villes parmi lesquelles Versailles, Dijon, Poitiers ou encore Lyon. A ce réseau physique, s’ajoute depuis 2010 un site Internet marchand et, pour alimenter le tout, une plateforme logistique qui occupe 7 000 m2 à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne).

Chez Gibert Jeune, l’expansion, à partir des années 1970, se concentre en revanche exclusivement autour du site historique de la place Saint-Michel. Après son installation en 1971 au numéro 5 de cette place, où se trouve aujourd’hui son magasin phare avec la littérature, les beaux-arts et le savoir, l’enseigne ouvre plusieurs annexes aux alentours, qui font chacune figure d’officine spécialisée, en sciences humaines et sociales, en langues étrangères ou en jeunesse et BD. Avec une image restée malgré tout très universitaire et une implantation exclusivement parisienne (80 % de son activité est réalisée autour de la place Saint-Michel), Gibert Jeune subit de plein fouet, ces dernières années, le déclin des marchés universitaires et la baisse de fréquentation touristique induite par les attentats. Pour ses boutiques situées à la sortie du RER et en face de la cathédrale Notre-Dame, la clientèle est en effet bien plus touristique et francilienne que celle de son cousin, qui est avant tout parisienne. Une complémentarité commerciale qui fait sens alors que Palidis entend conserver les deux enseignes après la reprise de Gibert Jeune. Olivier Pounit-Gibert, président de la Financière Palidis, et Marc Bittoré, directeur général de Palidis et président de la SA Gibert Joseph Paris, devraient d’ailleurs rapidement nommer un nouveau directeur général pour Gibert Jeune.

(1) Voir notre classement des 400 premières librairies françaises dans LH 1130 du 19.5.2017, p. 23.

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