Avant-critique Roman graphique

Jérôme Dubois, "Immatériel" (Cornélius)

Immateriel, P. 41 - Photo © Jérôme Dubois-Cornélius

Jérôme Dubois, "Immatériel" (Cornélius)

Que reste-t-il des morts dans les lieux qu'ils ont occupés ? Jérôme Dubois traque l'invisible dans une fiction entre fantastique et fait de société.

Parution 3 octobre

J’achète l’article 1.5 €

Par Benjamin Roure
Créé le 27.09.2024 à 17h00

Les absents ont toujours corps. Le phénomène des hikikomori, conceptualisé au Japon, est désormais bien connu : des individus vivent reclus dans leur chambre ou leur studio, sans aucun contact direct avec l'extérieur, pendant des mois voire des années. Les outils numériques et la livraison à domicile facilitent l'existence de ces nouveaux ermites. Là où Tetsuya Tsutsui s'en inspire pour broder une comédie sociale de néoconfinement plus chaleureuse que glauque dans le réussi Neeting Life (Ki-oon, 2024), l'auteur français Jérôme Dubois joue la carte du fantastique pour explorer les thèmes complexes de la mémoire des lieux, des rapports entre les vivants et ce qui reste des morts, et bien sûr de l'enfermement volontaire.

On suit ainsi Adel, jeune homme timide et emprunté, qui commence un nouveau boulot : il assiste une équipe aguerrie de nettoyeuses de logements devant être vidés dans l'urgence, suite à une expulsion, un placement en institution ou le décès de leur occupant. Et son baptême du feu a lieu dans le studio d'un homme qui y vivait cloîtré depuis des années. Obnubilé par l'histoire du lieu, Adel va aller jusqu'à s'y installer. Puis être possédé par le fantôme de l'ex-résident...

Par une ligne extrêmement fine, des cadrages et un découpage millimétrés, et un jeu pointu sur trois couleurs sans nuance - rouge, vert, bleu - et une gamme de gris texturés, Jérôme Dubois parvient à relier deux mondes, celui des vivants et celui des morts, celui des présents et celui des absents. D'apparence froide, par des visages à peine esquissés ou des décors sans fioritures, son graphisme vibre au contraire d'émotions contenues. Le lien entre le texte et l'image est toujours juste et signifiant, chaque dialogue et gros plan n'étant jamais gratuit. Dès lors, les portraits psychologiques des protagonistes s'épaississent page après page, sans faire de bruit. On retrouve aussi le goût pour l'architecture de l'auteur de Citéville et Citéruine (Cornélius et Matière, 2020), ainsi que son attrait pour l'étrange (Jimjilbang, Tes yeux ont vu, Cornélius, 2014, 2017). Mais sa grande force est de ne jamais céder au sensationnel ou au feuilleton horrifique, pour interroger, par des compositions de pages muettes voire abstraites, ce qui constitue la trace d'un humain sur la Terre, une fois que son enveloppe charnelle s'en est allée.

Jérôme Dubois
Immatériel
Cornélius
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 34,50 € ; 216 p .
ISBN: 9782360812226

Les dernières
actualités