Sonates d'automne. Ces histoires-là, les Anglo-Saxons les nomment des novellas. Trop longues pour être des nouvelles, trop courtes pour le roman. Et pourtant, un genre en soi, pas un succédané. Il faut dorénavant compter parmi ses représentants les textes qui composent Les jours sont comme l'herbe, le nouveau livre de l'immense auteur danois Jens Christian Grøndahl. En matière de crépuscules, de poignante mélancolie, de jours enfuis et de fugues diverses, il est difficile dans le paysage littéraire contemporain de faire plus accompli (si ce n'est peut-être Modiano, dont Grøndahl, dans un des premiers entretiens qu'il accorda à la presse française lorsque son œuvre commença à être traduite, reconnut toute l'influence qu'il eut sur lui).
Six novellas au menu du même livre, soit autant de recherches angoissées et élégiaques du temps perdu. Dans la première d'entre elles, qui donne son titre au volume et qui n'est pas sans rappeler l'admirable Virginia (Gallimard, 2004), l'auteur évoque le Danemark de l'Occupation et surtout de la Libération, à travers l'histoire d'amitié presque muette entre un adolescent de Skagen et un jeune prisonnier allemand guère plus âgé que lui. Dans Villa Ada, de nos jours à Rome, un couple de binationaux italo-danois, en voie de séparation, s'inquiète pour leur fils en fugue devenu l'égérie d'un mouvement de soutien aux migrants de la Méditerranée. Edith Wengler (chef-d'œuvre de concision, de justesse et de tristesse mêlées) narre la vie sur les planches et à l'écran d'une grande comédienne récemment disparue et déjà presque oubliée, femme de retrait et de chagrins tus, entre Delphine Seyrig et Romy Schneider. Dans le tout aussi beau Je suis la mer, un policier traque jusque sur les plages espagnoles un riche homme d'affaires dont la mort annoncée lui paraît cacher plutôt une disparition volontaire. Hiverner en été dresse le portrait d'une femme, veuve inconsolable, juge dans le civil, qui va devoir inculper le père de son gendre. Enfin, le bien nommé Au revoir accompagne le destin d'une jeune pasteure, amoureuse d'un sculpteur venu des îles Féroé, qui va se lier à une femme piétiste dont le mari officier a été tué en Afghanistan.
Disparitions, persistance du souvenir, croisée des chemins, choix douloureux et pourtant nécessaires, voilà toute l'affaire. C'est tout l'art poétique, narratif, romanesque de Grøndahl qui est ici condensé en autant de précipités de vies qui toutes penchent vers l'abîme. Pourtant, aucune complaisance morose dans ces pages. Si ces « sonates d'automne » bergmaniennes sont si belles, c'est parce qu'elles sont écrites d'une plume vigoureuse par celui qui confirme ici qu'il est bien l'une des très grandes voix de ce temps.
Les jours sont comme l'herbe : romans Traduit du danois par Alain Gnaedig
Gallimard
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 24 € ; 352 p.
ISBN: 9782072929410