Jean Vautrin est décédé, le 16 juin, laissant une œuvre protéiforme, empreinte notamment de polars, de cinéma, d’une série cosignée avec Dan Franck et d’un prix Goncourt.
Le livre couronné place Gaillon, mais dont l’action court de 1893 à 1920 en partie chez les Cadjins de Louisiane, avait donné lieu… à un procès.
Car il est à la fois utile et difficile de faire œuvre à partir d’un sujet que des érudits devenus incontournables ont entièrement défriché. Le recours au droit de citation est notamment possible. Mais la règle essentielle reste celle de la mention des sources.
Saisie de ce livre par le linguiste Patrick Griolet, auteur en particulier de Cadjins et créoles en Louisiane : Histoire et survivance d'une francophonie.
La Cour d’appel de Paris a jugé, le 14 janvier 1992, à propos de Jean Vautrin, qu ‘« il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir cité ses sources dès la première édition de son roman, l’auteur d’une œuvre de fiction n’étant pas tenu de faire connaître les éléments dont s’est nourrie son imagination ».
Mais Jean Vautrin avait annoncé à l’occasion de la remise du prix : « je tiens à rendre un hommage reconnaissant à Patrick Griolet dont le travail minutieux et patient m’a aidé à donner aux héros de ce livre la vérité sensuelle et jaillissante de la langue et des chansons cadjines. Ses ouvrages « Mots de Louisiane » et « Cadjins et Créoles en Louisiane » constituent un tableau essentiel et vivant de ce rameau de la langue française, sans lequel ce roman n’aurait pas vu le jour ». Cette déclaration était reprise dans les éditions ultérieures du roman.
C’est pourquoi les juges ont estimé que « loin de porter préjudice à Patrick Griolet, la publication du roman de Jean Vautrin et l’hommage public qui lui a été rendu lors de l’attribution du Prix Goncourt ainsi que sur les exemplaires publiés ultérieurement ont accru la notoriété de ses propres ouvrages ».
Rappelons, plus prudemment, par ailleurs que l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle autorise la citation. Le droit de citation permet donc d’emprunter quelques mots, voire quelques lignes. Mais c’est à condition qu’elle fasse expressément référence à l’auteur recopié. La citation n’est donc valable que « sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source ».
Lorsque la citation n’est pas correctement « sourcée », les poursuites ont souvent lieu sur le terrain de la contrefaçon. C’est ainsi qu’Irène Frain a été condamnée, par la Cour d’appel de Paris, le 10 mai 1996. Elle avait repris, dans La Guirlande de Julie, un personnage historique qui avait fait l’objet d’une thèse de doctorat, rédigée par Denis Lopez et intitulée La Plume et l’épée de Montausier. Le choix du même thème n’est pas en soi répréhensible. Mais Irène Frain avait surtout emprunté des expressions spécifiques pour présenter les informations historiques « sous une forme et avec un vocabulaire personnel, non nécessaires et protégeables ».
Mais il arrive que l’œuvre ou les travaux ainsi repris ne remplissent pas les conditions de protection par le droit d’auteur. Il est alors possible d’agir en concurrence déloyale, en invoquant le « parasitisme ». Sur ce terrain, faute avouée est parfois entièrement pardonnée. Ce qui a bénéficié au regretté Jean Vautrin.
Il n’en a pas été de même dans l’affaire ayant opposé un dénommé Le Clech, qui avait signé notamment un article publié dans l’Annuaire des dix mille bretons, à Berruer, auteur de l’ouvrage Les Bretons migrateurs. Dans son arrêt en date du 19 février 1987, la Cour d’appel de Paris commence par relever que « Le Clech a, durant plusieurs décennies, conduit des recherches sur l’émigration bretonne et qu’un minutieux travail d’historien accompli lui a permis d’acquérir une forte connaissance du sujet ; (…) en revanche, rien dans les antécédents de Berruer, hormis une mère bretonne, ne le qualifiait pour écrire une histoire des bretons migrateurs ». Les juges en concluent que « dans la mesure où divers passages (…) n’avaient pu être écrits que grâce à de larges emprunts aux articles publiés ici et là par Le Clech, il est clair que Berruer avait l’obligation de citer le nom de ce dernier pour mettre en évidence la contribution notable apportée par lui à la connaissance des événements rapportés dans Les Bretons migrateurs ».
Concluons avec cette une lettre d’Henry de Montherlant, adressée à un jeune lecteur. Celui-ci avait relevé dans Port-Royal une phrase « clandestine » de Bossuet., autrement dit un centon.
Montherlant avoue avoir fait un test et conclut à l’attention de cet unique érudit : « vous voyez que pour les auteurs français, toutes les difficultés de la création littéraire sont résolues, puisqu’il leur suffira désormais, le jour où ils n’auront plus rien à dire, d’emprunter largement à leurs prédécesseurs, dans une quasi totale impunité »…