L'idée de ce livre est excellente, et le résultat jubilatoire. Qui sait ? Jean-Pierre Martin fera peut-être des émules dans le monde entier, du côté des Smith, des Singh, des Wang, des Tremblay, des Lopez. Il suffit qu'un écrivain, qui porte l'un de ces noms, décide de recenser un certain nombre de ses homonymes, plus ou moins connus, et de raconter leur parcours, leur histoire, avec humour, et en se mettant en scène. Ainsi, pour Dino Crocetti, qui fut d'abord Dino Martini puis Dean Martin, descendant d'Italiens des Abruzzes devenu un illustre crooner américain, notre Martin endosse-t-il le costume de Stefano La Rocca, copain d'enfance et fan de Dean. Ce Martin-là n'est pas né Martin, il l'est devenu, donc ça compte. En revanche, Jean-Pierre Martin ne peut prendre en compte les prénoms, Martin ou bien Martine.
C'est ainsi qu'il règle son compte, dans un chapitre deux désopilant, à sainte Martine, vierge et martyre et heureuse de l'être, à Rome, au IIIe siècle. Martinus, en revanche, Hongrois devenu évêque de Tours puis saint, patron des policiers, célèbre pour l'épisode de son manteau, a droit de cité et inaugure ce gros livre. Lequel s'achève, en un écho sinistre, sur une autre histoire de vêtements : l'assassinat, par un vigile armé, le 26 février 2012, à Sanford, Floride, de Trayvon Martin, un jeune Noir de 17 ans, dont la capuche qui lui couvrait la tête lui avait paru suspecte. D'où altercation, bagarre et meurtre. L'histoire préfigure et évoque celle de George Floyd, et bien d'autres.
Le lecteur aura plaisir à se balader dans ce Who's Who inédit, qui nous offre dans des pages moins dramatiques le plus dépaysant des voyages, par exemple sur les traces de trois Martin en Inde : François, dont la vie est un véritable roman d'aventures, qui fut directeur de la Compagnie des Indes orientales, vaincu par les Hollandais, exilé, avant de retrouver son cher Pondichéry, où il est mort en 1706 ; Pierre, missionnaire jésuite, un forcené qui se fit sadhu pour convertir plus d'autochtones dans la région de Madurai ; ou encore le major Claude, qui s'illustra à Pondichéry sous Dupleix − mais une fois celui-ci désavoué par Versailles et remplacé par le calamiteux Lally, Claude Martin passa à l'ennemi anglais, servit à Calcutta, puis à Lucknow où, avec l'appui du nabab local et son amitié, il fit fortune et vécut comme un prince éclairé jusqu'à sa mort, en 1800.
« Les Martin pullulent », écrit Jean-Pierre, essayiste buissonnier, notamment auteur d'une biographie impeccable d'Henri Michaux (Gallimard, 2003), qui reçut le prix Louis-Barthou de l'Académie française. Ils forment, poursuit-il, « une communauté à part entière », essentiellement composée d'illustres inconnus, tous morts, que l'auteur a voulu ici « réhabiliter ». Y compris un certain Jacques, homme de télé frustré de n'être ni chanteur d'opéra, ni comédien ni écrivain, qu'il considère au début comme « notre caricature », et pour qui il finit par éprouver une certaine tendresse. C'est aussi ça, l'esprit de famille, même complètement recomposée.
Jean-Pierre Martin
Le monde des Martin
Éditions de l'Olivier
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 25,90 € ; 736 p.
ISBN: 9782823618792
