Drames secs. Sur la chemise enveloppant le manuscrit d'Héliogabale, Jean Genet a écrit, outre « drame en quatre actes » : « Fresnes les Rungis juin 1942 ». Unité de lieu, de temps, d'action, les trois règles d'or du théâtre français classique sont respectées. Comme quoi le voyou de 32 ans, emprisonné pour divers délits, dont le vol, avait des lettres. Sa pièce et la suite de sa carrière le prouveront à l'envi. Il avait à coup sûr lu Héliogabale ou L'anarchiste couronné d'Antonin Artaud, publié en 1934 chez Denoël et Steele. L'un des livres les plus violents de la littérature du XXe siècle, estime la critique.
Emprisonné, Genet s'intéresse à son tour au malheureux empereur romain, jeune Syrien de la famille des Sévères, cousin de Caracalla, couronné en 218 apr. J.-C., à 14 ans. Héliogabale, né Sextus Varius Avitus Bassianus, était un adolescent torturé, pervers, dément, mystiquement amoureux de son dieu Élagabal (avec qui on le confond souvent) dont il voulut imposer le culte unique à travers tout l'Empire. Ceci, plus ses exactions et scandales, provoqua sa chute. Il périt assassiné par ses prétoriens, à Rome, en 222. Et son corps, d'après certaines traditions, aurait été jeté aux latrines. Il subit ensuite la damnatio memoriae, comme Néron avant lui. Le sujet convenait à la perfection à celui qui allait bientôt publier Notre-Dame-des-Fleurs, se faire le chantre de la marge, de la subversion, de toutes les transgressions, du trash.
Genet campe donc Héliogabale à la toute fin de sa courte vie, quand tout s'effondre et que les femmes de sa famille, dont sa terrible grand-mère Julia Maesa qui l'a porté au pouvoir, projettent de le faire tuer pour le remplacer par son jeune cousin, Sévère Alexandre. Le complot n'aboutit pas, mais le jeune homme finit égorgé par son gigolo, le cocher Aéginus. L'écrivain, dans ce qu'il appelle « un drame sec », respecte en gros l'histoire. En revanche, il n'a pas voulu écrire une pièce en costumes mais une espèce de mélodrame vulgaire, en langue familière : Héliogabale appelle sa grand-mère « vieille », déclare « moi j'aime trop les gosses » etc. Cette atmosphère de décadence lui sied à merveille. Le texte, que l'on croyait perdu, a pu être retrouvé dans les collections patrimoniales de la Houghton Library de l'université d'Harvard.
C'est plus près de nous, dans les collections de l'IMEC à Caen, que l'on a retrouvé le tapuscrit inédit du synopsis de Mademoiselle, à l'origine intitulé Les rêves interdits ou L'autre versant du rêve, écrit en 1951, dans la foulée du court-métrage érotique Un chant d'amour. C'est l'histoire, assez inattendue, de Mademoiselle, institutrice dans un village de Corrèze, qui aime à faire le mal la nuit, en particulier provoquer des incendies. Insoupçonnable, elle laisse accuser de ses méfaits le bûcheron polonais Manou, pourtant bien intégré dans la commune, pour qui elle éprouve une attirance sexuelle. Ils finiront par se trouver, et se perdre... En contrepoint, un troisième personnage, Bruno, le fils de Mademoiselle, orphelin de père. Après bien des péripéties, c'est le Britannique Tony Richardson qui a réalisé le film en 1966, avec l'aide de Marguerite Duras, et Jeanne Moreau dans le rôle-titre. Un navet, qui fit un bide total à Cannes. Jean Genet, lui, était passé à autre chose, et ne reviendra plus au cinéma. Il préférait le théâtre.
Héliogabale. Drame en quatre actes
Gallimard
Tirage: 15 000 ex.
Prix: 15 € ; 112 p.
ISBN: 9782073049032
Mademoiselle
Gallimard
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 7,50 € ; 168 p.
ISBN: 9782073057976