Simone est abattue depuis que tout s'est déglingué dans le pays, que « la France profonde s'est enfoncée dans la profondeur », et surtout depuis que son frère adoré, Étienne, a disparu. Parce qu'ils n'ont cessé de l'attendre et qu'ils ont un sens de l'humour douteux, ses parents l'ont surnommé Dogo... Ce dernier se prétendait écrivain mais rédigeait essentiellement des débuts de romans médiocres, affublés de titres grotesques tels que Le permafrost de l'angoisse... Ses parents ont fait appel à des détectives, des magnétiseurs et des infectiologues, mais Dogo reste introuvable. Lasse de se morfondre, Simone entreprend une enquête à travers un monde en train de muter à suite de la pandémie, à laquelle ont succédé de longs mois de grève, où des villes et des villages sont entrés en dissidence, puis en autosuffisance, où le troc et le système D ont eu raison d'une économie en déliquescence : « On avait découvert que la récupération équivalait l'invention, qu'Emmaüs faisait la nique à Marx, que le progrès était là, par terre, qu'il suffisait de le ramasser comme une vieille pièce de monnaie et le désinfecter. »
Elle s'entiche d'un détective privé zélé et elle taille la route entre Nantes et l'Italie, en passant par la Haute-Provence, où elle débarque dans la communauté libre de Castillon-L'Avenir. Elle y rencontre un vieil anar attachant qui était prêt à éditer son frère... Pouy réussit un très beau portrait, celui d'une femme candide mais qui, peu à peu, alors qu'elle fréquente les libertaires, perd ses bonnes intentions : « Je venais de décider de rester un peu plus longtemps que prévu dans cette utopie rationnelle. Méchamment, pour entrevoir les failles ».
Simone et son détective enquêtent également dans les pages des livres appartenant à Dogo, s'étonnant de voir que le nom de Raymond Roussel revient aussi souvent, ce qui pourrait constituer une piste. On retrouve ici la touche oulipienne de Jean-Bernard Pouy qui, outre le personnage du Poulpe, avait créé au début des années 2000 la série « Pierre de Gondol » - il y mettait en scène un libraire qui résolvait des énigmes littéraires en écumant les étagères de romans.
Parallèlement à cette itinérance, trois autres personnages sillonnent le pays pour faire sauter des enclaves symboliques, telles que les bureaux de l'Urssaf ou de la Drac : il s'agit de Guignol, Gnafron et Madelon qui, suite à l'incendie de leur théâtre, ont décidé de véritablement taper sur les gendarmes.
Entre deux scènes burlesques, Pouy déroule une enquête qui semble ne jamais aboutir, où toute la substance de l'intrigue est dans ses temps morts, quand Simone finit par comprendre qu'elle ne souhaite plus seulement renouer avec son frère, mais surtout le punir. Au fil d'un roman finalement mélancolique, qui mêle un humour rabelaisien à une sincère tendresse pour les personnages, Simone se retrouve prise dans de multiples rebondissements qui disent aussi la folie d'un monde contemporain sombrant dans l'oubli de lui-même, où le poète est devenu un être corruptible, où l'on ne peut trouver sa place qu'en restant à la marge d'une société en train de se fissurer.
Jean-Bernard Pouy
En attendant Dogo
Gallimard
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 18 € ; 208 p.
ISBN: 9782072941153