« Chemises d’organdi, chaussures de zébu/Cravate d’Italie et méchant complet vermoulu/Un rubis au doigt… de pied […] », le snob de la chanson de Boris Vian a tout du dandy. Snob et dandy, deux tentatives de se définir soi-même aux yeux d’autrui, l’un dans l’imposture, l’autre dans la posture. Colbert aurait, selon l’abbé de Choisy, fait poser nuitamment dans l’église des Cordonniers de Reims une dalle mortuaire lui attribuant une pseudo-ascendance noble. Aujourd’hui Versailles a disparu, mais pas la cour : cercle du pouvoir politico-médiatique, cénacle d’intellectuels en vue, carré VIP des people… Monsieur Jourdain et Madame Verdurin sont toujours là qui singent ou régentent le goût des happy few. Le snob refoule son complexe d’infériorité puisqu’il veut paraître ce qu’il n’est pas. Il aspire à ce qu’il croit lui être supérieur tout en feignant d’être au-dessus de la mêlée. Le dandy, quant à lui, assume superbement son complexe de supériorité : il prend de la hauteur et entend s’inventer soi-même. Rien ne lui répugne plus que le bruit du monde, seule la beauté parvient à le consoler de l’ennui de la société des hommes…
A partir de ces deux figures d’une vaine expression du moi, Nicolas Grimaldi analyse la difficulté de l’individu à se connaître soi-même. Abdication stylée du réel chez le dandy vu que la nature est, selon le mot de Baudelaire, « abominable » ; absence à soi-même du snob puisque, hors du regard des autres, il ne se sent pas exister. Dans son dernier essai Les théorèmes du moi, le philosophe continue son travail d’investigation et de pédagogie (saluons l’élégante clarté du propos) sur la nature même de la conscience. Qui suis-je est la question : « Mon corps m’exprime-t-il ? Ou suis-je au contraire au secret dans mon corps, comme un prisonnier clandestin ? » Etre conscient équivaut à éprouver l’irrémissible écart entre la matérialité de sa chair et l’inquiétude de son esprit. Pourtant, aussi cérébrale que soit une personne, sans corps elle ne serait pas, nulle dichotomie âme-corps qui ne tienne, l’humain se caractérise bien par « l’unité d’une dualité ». Dès lors s’insinue la déception permanente, née de la différence entre l’absolu de son désir, cette tension vers l’avenir, et l’imparfait de son présent, la pesanteur du quotidien.
Je suis ce que je serai - c’est au terme d’une existence qu’on peut dire ce qu’a réellement été quelqu’un. La finalité du gland est de devenir chêne, celle de la chenille de devenir papillon, le sens de l’homme ? Il l’ignore. Ce drame qui se joue pour tout un chacun pourrait s’intituler « En attendant Ego », ego, ce moi fluctuant, inscrit dans la succession des jours. « L’attente serait donc à la conscience ce que la tendance est à la vie : son principe. L’attente est la conscience même. » La conscience est ce rapport qu’entretient le fini - l’homme - avec l’infini -le temps.
S. J. R.