24 NOVEMBRE - LIVRE ILLUSTRÉ France

Il y avait urgence : le 1er novembre 2011 - ou, si l'on préfère, le 27 haha 139 de l'ère 'Pataphysique - marque le 104e anniversaire de "l'Occultation » d'Alfred Jarry. Ecrivain et grand éclectique qui, par l'intermédiaire de son personnage du docteur Faustroll, inventa la 'Pataphysique et sa méthode, ainsi définie par Patrick Besnier, spécialiste et biographe de l'auteur : "Une pratique perpétuelle et rigoureuse de la spéculation, de la "solutionimaginaire" ; le monde est une fiction, un gigantesque jeu. » Ce jeu a ses arcanes, explorés par Jarry dans toutes les directions. C'est ce qui donne à son oeuvre ce côté unique, foutraque, inachevé (Alfred a été "occulté" à l'âge de 34 ans), mystérieux aussi. Et lui vaut la ferveur d'un fan-club à la fois underground et très actif. La preuve : ce bel album, dont l'idée originelle est de Frank Ténot - oui, l'alter ego de Daniel Filipacchi -, qui paraît aujourd'hui avec seulement trente-trois ans de retard.

Réalisé sous la conduite de Thierry Foule, avec Paul Gayot, Patrick Besnier et Julien Schuh, tous membres éminents du collège de 'Pataphysique, "société de recherches savantes et inutiles » fondée en 1948, le livre se veut une exploration de l'univers jarryen, envisagé comme un polyèdre à 39 facettes présentées suivant l'ordre alphabétique, donc purement arbitraire.

On part d'Adelphes, mot employé par Jarry presque comme un synonyme d'"homos", mais pas tout à fait. Parmi bien d'autres lacunes biographiques, on ignore tout, en fait, de ses orientations sexuelles. Et même s'il eut une sexualité. Ses rapports avec Rachilde, par exemple, la femme de Vallette et patron du Mercure de France - avec qui il se brouilla -, demeurèrent, semble-t-il, platoniques.

Et l'on parvient à Ymages, un mot capital pour Jarry. Outre son intérêt pour les peintres les plus novateurs de son temps (comme ceux de l'école de Pont-Aven, ou son ami Henri Rousseau, qu'il baptisa "douanier"), il dessinait lui-même, inventant un corps à ses personnages, comme l'illustre Père Ubu. Jarry était aussi graveur, lithographe, créateur de marionnettes...

Au fil des chapitres défile la courte et très fragmentaire biographie de Jarry (né à Laval en 1873, mort à Paris en 1907), avec ses relations, ses hobbys (la pêche, le canotage), ou ses obsessions, comme la généalogie. Peu fier de ses modestes origines paternelles, il préféra fantasmer sur celles, anglo-bretonnes et supposées aristocratiques de sa mère, par laquelle il appartiendrait à l'illustre lignée des Dorset, remontant of course à Guillaume le Conquérant. "Merdre alors », aurait dit la Mère Ubu. N'oublions pas, chez Jarry, ce côté potache khâgneux (il le fut, au lycée Henri-IV), cette inventivité touche-à-tout et cet aplomb avec lequel il donnait ses lettres de noblesse au n'importe quoi.

C'est ce qui fait l'intérêt d'une oeuvre à redécouvrir sans cesse. Une jungle foisonnante où les ymages sont le meilleur des passeports.

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