Quelque flatteur qu'il puisse paraître à celui ou celle qui en a la charge, l'exercice de la chronique dans la presse, soumis à un quotidien souvent étouffant, est parfois pour son auteur un piège où peuvent échouer son goût d'y apparaître original comme son interprétation du réel. N'est pas Mauriac et son Bloc-notes qui veut, ou plus près de nous, Chantal Thomas et son Café Vivre (Seuil, 2020). Pendant près de trois ans, de septembre 2019 à juillet 2022, Jakuta Alikavazovic a relevé ce défi en tenant mensuellement chronique dans les pages de Libération. Ses textes, une trentaine au total, paraissent aujourd'hui réunis en un volume et composent comme un bréviaire du temps présent, une sorte de manuel de savoir-vivre.

Souvenez-vous, en ce temps-là, il y eut une pandémie... La belle affaire si l'on se souvient combien alors beaucoup y allèrent de leur journal, de leurs expectorations narcissiques où l'insignifiant le disputa aux lieux communs. Rien de tel, bien heureusement, dans ce Faites un vœu. C'eut été faire peu de cas de l'inventive audace dans la recréation du monde dont a toujours fait preuve l'autrice de L'avancée de la nuit (L'Olivier, 2017) ou de Comme un ciel en nous (Stock, 2021, prix Médicis essai). C'eut été ignorer qu'elle est aussi la traductrice des deux tomes de chroniques de David Foster Wallace, Considérations sur le homard (L'Olivier, 2018 et 2020) avec qui elle partage une identique propension à aborder le réel de façon joliment torve, en biais et en douce. Le temps, celui de la pandémie, est donc ici bien suspendu, mais peuplé notamment d'un étonnant bestiaire. On y croisera, puisqu'il a été question de retrouver en ces mois sinon notre innocence, notre animalité première, un chat qui va mourir, des hamsters rendus à l'état sauvage, des pieuvres intelligentes, des poulets abattus ou des chiens et loups, paradigmes du caractère gazeux de ces temps d'entre-deux. Ceux-là furent également pour Jakuta Alikavazovic ceux de sa maternité, évoquée ici avec pudeur et un humour infini. Il sera aussi question de planètes lointaines et de comment les habiter, en d'autres termes, bien entendu, d'enfermement et de solitudes. Ce pourrait être triste, c'est une forme charmante de gai savoir. L'air du temps en ressort joliment ébouriffé ; l'état des choses y est léger et grave. Au fond, tout cela relève d'une forme infiniment précieuse de politesse.