"Soudain, il comprit. Il comprit qu’il existait une corrélation entre le prix de l’argent et la liberté des mœurs. […] Jamais on n’avait tant forniqué qu’en période d’inflation ! […] Sa misère sexuelle n’avait pas d’autre explication. Il se heurtait à des taux d’épargne record et à l’austérité des banques centrales. Sa nouvelle mission serait exaltante car le vent de l’Histoire tournerait bientôt : sa révolution freudo-reichienne était en marche."
L’homme qui a cette révélation s’appelle Jacques Koskas. En ce début des années 2000, il a 30 ans. Issu d’une famille de médecins juifs strasbourgeois de stricte observance, il fait le désespoir des siens par son vagabondage spirituel, amoureux et professionnel. Journaliste au quotidien La Turbine, il s’essaie à un curieux syncrétisme entre je-m’en-foutisme, prédiction des futures zones de conflit de la guerre économique et donjuanisme. Ses nuits sont blanches, ses matins ne servent à rien, le reste du temps, il bricole. Encombré par sa judaïté autant qu’elle le constitue, il écrit à Hugo Chavez, suit le Kippour à Santa Monica, prend sous son aile un footballeur prodige brésilien. Il se dissipe comme les enfants le font parfois.
Olivier Guez a l’âge de son héros, mais la piste autobiographique est si évidente qu’elle n’est peut-être, qu’un miroir aux alouettes pour lecteur trop pressé. Journaliste, correspondant à Paris du Frankfurter Allgemeine Zeitung, il est justement considéré comme l’une des plus fines plumes de ce temps. Alors qu’il vient de publier ce printemps Eloge de l’esquive (Grasset), un très remarqué essai sur les ontologies qui unissent football et Brésil, le voici réinventé en romancier. A sa manière, un peu rêveuse et infiniment drôle, il s’en va piocher sur les terres du maître absolu de la judaïté littéraire contrariée, Mordecai Richler. Qu’il suffise d’écrire qu’il tient la comparaison. Jacques Koskas se débat langoureusement dans des temps qu’il méprise et comprend mieux que personne. Olivier Guez est son prophète.
Olivier Mony