«Il était une fois une époque comme on voudrait, à notre échelle. Sans réelles contrariétés, sans fâcheries. On rappellerait Zvetan et Félicia pour s’excuser […].On s’excusait souvent. Une époque qu’on ne se remémorait jamais dans le détail, comme une chanson dont on convoque l’air du refrain et non les paroles, ou le remix décalé d’un tube des sixties. De longues fiançailles heureuses, une santé, des facilités, des rituels. Ils étaient jeunes et fiers. Satisfaits d’être les princes de ce monde, beaux et riches.»

Bienvenue dans «le vivace et le bel aujourd’hui». Cette époque-là, qui n’a plus guère d’équitable que son commerce, 100 % garantie contre les matières grasses de l’altérité, c’est la nôtre, celle dans laquelle se sentent comme prince et princesse consort, Ivan et Noémie. Ravissants et aimables spécimens de la pusillanimité des temps que ces deux-là. Lui, beau gosse inoffensif, mannequin depuis l’enfance, vantant sur les écrans ou sur papier glacé des produits issus de l’agriculture biologique ou écologiquement responsable. Elle, enseignante dans une zone d’éducation prioritaire, prenant soin de ménager le yin de la pédagogie comme le yang de la conscience sociale… Les deux, «idiots utiles», portant fièrement les habits neufs d’une bourgeoisie plus ou moins bohème.

On aimerait écrire de Nous sommes jeunes et fiers, le deuxième roman (après Enjoy, Stock, 2012) de Solange Bied-Charreton, qu’il est une satire. On craint de devoir s’avouer qu’il tient plutôt d’un constat. Celui au moins d’une faillite morale. Tout le mérite de la romancière est de ne pas s’en tenir là et de ne pas se reposer sur ses dons, tant ceux-ci en matière d’observation sarcastique sont grands. Dans ce conte moral noir et drolatique, elle propose aussi quelque chose comme un «scénario de sortie de crise». Dont ses lecteurs tireront grand profit. Plus sans doute que les charmants Ivan et Noémie (et leurs amis). Olivier Mony