Elles se nomment Solange, Leila ou Nadine. Leurs destins ont été brisés par la violence d'un conjoint. Certaines en sont mortes, d'autres tentent de se reconstruire un avenir. On y songe immanquablement en rencontrant Isabelle Rome au pied des lions qui défendent le tribunal de commerce de Paris. Aux crocs, celle que la Garde des Sceaux Nicole Belloubet a nommée haute fonctionnaire à l'égalité femmes-hommes préfère les mots et les actes. Son quatrième livre relance son combat contre les féminicides.
Son regard déterminé cache une personnalité généreuse et lumineuse. Isabelle Rome se souvient « d'une enfance heureuse » dans l'école de campagne où ses parents étaient instituteurs. « J'ai été bercée par les valeurs de la République. » Sa grand-mère paysanne était résistante, communiste et « déjà féministe ». « J'espère avoir hérité de sa force, de sa bienveillance et de son engagement. », dit-elle.
« Je crois en l'espoir »
Zola, Hugo, Rousseau et Levinas l'orientent vers le droit. « L'injustice me rend malade, c'est épidermique. » A 23 ans, Isabelle Rome est nommée plus jeune juge de France. Sa première visite en prison la remue. « Face aux misères sociales, aux troubles psychiatriques et à la souffrance, je suis devenue une magistrate engagée, inscrite dans la vie. » Elle privilégie l'approche pluridisciplinaire (travailleurs sociaux, psys, collectivités locales) et associative, dans laquelle elle s'investit.
Tournée vers les victimes et les détenus, Isabelle Rome s'est heurtée dans son parcours à Klaus Barbie : « J'ai saisi les limites de ma compréhension de l'autre. »
Les violences conjugales, en particulier, la révoltent. « Celles-ci me semblent indignes de notre société. Il faut cesser de les cantonner à la sphère privée. On doit œuvrer à une prise de conscience. » Son livre révèle la réalité de cette violence faite - à 80 % - aux femmes. N'importe qui peut être frappé par ce fléau. On recense encore 120 à 130 victimes de féminicides par an. Les larmes aux yeux, Isabelle Rome lâche : « C'est pour elles que je mène ce combat. J'y mets toute ma force et mon cœur. »
Elle qui a été en première ligne pendant le Grenelle des violences conjugales insiste : « Nous sommes responsables de la protection des femmes. » Elle rappelle que l'emprise, la violence psychique, physique et sexuelle traumatisent les victimes et leurs enfants. « Elles ne réalisent pas qu'elles sont en danger. » Ce livre puissant leur donne la parole.
Libres et égales, une exposition de photos de Sylvia Galmot, orne les grilles du Palais du Justice. Isabelle Rome assure : « Je crois en l'espoir. On n'est pas une victime à vie, on peut aller de l'abîme vers la lumière. La sororité semble utile pour s'entraider, mais la fraternité me paraît fondamentale. Si on élève nos enfants en frères et sœurs, on créera un respect mutuel. Cette dignité est profondément ancrée en moi », explique cette femme de loi modeste et entière. A ceux qui lui reprochent d'être trop sensible, elle répond : « Je me sens pleinement magistrate et citoyenne. »
Elle apprécie la cuisine, la mer, l'art, la lecture, la famille et l'amitié. Elle dédie d'ailleurs ses pages à sa fille, qui va la métamorphoser en grand-mère. « Ma révolte intérieure me donne envie d'agir positivement et de poser de petits cailloux pour changer le monde. »