Ce serait l'histoire d'un homme qui s'en va. Et d'un désir qui l'accompagne. Un père et l'écriture. En septembre 2016, à l'âge de 89 ans, et après près d'un demi-siècle de vie publique (durant laquelle il fut l'une des figures, notamment parisiennes, les plus importantes de la droite française) disparaissait dans sa Corse natale, qu'il n'avait jamais vraiment abandonnée, Jacques Dominati.

Il laissait derrière lui, outre le souvenir d'une dignité jamais trahie de ses différentes fonctions, deux fils, Philippe et Laurent, ayant adopté cette « marotte » noble qu'est la République (l'un fut sénateur, l'autre député et ambassadeur), mais aussi une fille, Isabelle, qui elle, s'était toujours refusée à exercer quelque exercice public que ce soit (de surcroît de gauche, ce qui en l'espèce n'arrangeait rien). Une fille adorée. Une fille écrivain, essayiste et surtout romancière.

Mélomane

De ce jour, Isabelle Miller née Dominati cessa d'écrire. Dans l'hôtel chic parisien où elle donne rendez-vous et où l'été pointe le bout de son nez, elle dit : « écrire, c'est une manière de vivre, or je ne vivais plus ». Et puis vint un jour où cette mélomane avérée a tendu l'oreille, un jour où elle « a entendu ce que lui disait la douleur ». Alors voilà, destin ou fragments volés, il y a aujourd'hui ce livre, La Mustang rouge de mon père. De ce livre, cette belle femme, qui a la distinction des beaux quartiers et des grandes lectrices mêlés, dit qu'il doit tant à la compréhension douce de son éditrice, Anne-Sophie Stefanini, de la difficulté qu'elle aurait à l'écrire et de celle, plus grande encore, qu'elle aurait à ne pas le faire. De quoi s'agit-il donc, au fond ? De souvenirs ? D'une biographie ? D'une rencontre sans cesse différée depuis l'adolescence dans la résistance (plus tard, le sanatorium) avec la mort ? D'un peu tout ça bien sûr, et pas vraiment. C'est d'abord l'histoire d'un départ, d'un manque, d'un exil intérieur ; c'est-à-dire, si l'on sait lire, si l'on sait vivre, d'un amour.

Voilà toute l'affaire. Celle d'une petite fille qui depuis l'âge de sept ans sait qu'elle veut être écrivain et découvre un jour un exemplaire de Gatsby sur la table de nuit de sa mère et s'entend dire que « c'est l'histoire d'un monsieur qui organise des réceptions ». D'une gamine que transperce à jamais dans Barbe-Bleue la phrase de sœur Anne, « je ne vois que le soleil qui poudroie et l'herbe qui verdoie ». La suite, de Stendhal à un doctorat de littérature française sur « l'énoncé performatif de la déclaration d'amour », prouvera qu'elle ne s'en laissera pas aussi facilement conter. Isabelle Miller est passée par là, par l'après-Barthes, Genette, l'idée que « le roman vient de l'écriture et des fragments. J'aime les histoires où il n'y a pas d'histoire qui restitue cette danse de l'ordre et du désordre qu'est la vie. Les histoires qu'on raconte dans la mécanique de l'intrigue échouent à rendre compte de cette émergence ». Son livre, c'est ça. Ces zigs, ces zags, qui font une vie et un chagrin.

Ça et un pays, la Corse, comme cela aurait pu être le Gers, ou n'importe laquelle de ces provinces qu'il convient désormais d'appeler territoires. Ce pays où elle reste à jamais une petite fille qui monte dans la Ford Mustang rouge de son père (qu'il conduisait par ailleurs fort mal). Pas plus que lui, pas plus que de la Corse, elle n'a su s'en défaire.

Isabelle Miller
La Mustang rouge de mon père
JC Lattès
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 19 euros
ISBN: 9782709663403

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