Bons baisers d'Espagne. L'été, c'est pas toujours les vacances. Quand on est le rejeton d'une famille tenant un établissement de bord de mer, c'est la grosse saison ! Il faut servir la paella, vendre des glaces, surveiller les resquilleurs aux toilettes... Un quotidien dur, répétitif et stressant car les finances de l'année tiennent sur le chiffre de quelques semaines. Mais les jours aux Baños Pleamar résonnent comme une vie rêvée dans les pages d'Isaac Sánchez : rien ne semblait pouvoir submerger la famille soudée autour du père, gouailleur et imposant, et de la mère, rigide et fermée. Hélas, toutes les bonnes choses ont une fin, comme les vacances...
C'est une Espagne loin des clichés que brosse cet album au trait chaleureux. Un pays post-franquisme, qui digère encore la libéralisation et la Movida, mais qui sent l'optimisme économique des Jeux olympiques de Barcelone de 1992 s'essouffler. Construits sur le littoral pollué de Badalone, en Catalogne, les baños - qui sont ici à la fois un décor et un personnage à part entière - s'enorgueillissaient de leurs piscines de bord de plage. Mais dès que la Méditerranée fut de nouveau accessible, les bains n'ont plus intéressé personne. Cette sorte de guinguette en perte de vitesse est le théâtre de l'enfance d'Isaac, où l'on fourgue des litres de sangria l'été et où on se gèle au vent marin l'hiver, où l'on passe des heures à écouter les rengaines du patriarche qui se rêvait chanteur populaire, et où l'on évite de sortir la nuit de peur de croiser des « vampires » sur le sable. Comprendre des toxicomanes, dans un pays connaissant une déferlante d'héroïne.
Racontée dans les yeux d'un enfant devenu grand, cette évocation d'un temps révolu est évidemment nostalgique, mais pas idéalisée non plus. Les failles et les échecs des parents ne sont pas tus, la frustration de la jeunesse non plus - comment s'imaginer devenir artiste dans un milieu si modeste, si éloigné de toute culture autre que celle de grande consommation ? Mais on garde surtout en tête le bel hommage d'un fils envers son père et le mode de vie qu'il avait choisi pour sa famille. Il voulait être tranquille, un peu en vacances toute l'année. Mais quand la mer et les ennuis montent, il est temps de plier bagage. Un album sincère et touchant.
Marée haute
Dupuis
Traduit de l'espagnol par Satya Daniel
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 23,50 € ; 232 p.
ISBN: 9782808504911