Récits/Italie 22 février Jean Talon

Pour prouver que la terre est ronde, Christophe Colomb veut atteindre l'Inde en passant par l'Ouest, il débarque sur un nouveau continent. Ses habitants sont appelés Indiens. L'Amérique commence par un quiproquo, ce qui constitue un bon départ pour la fiction. Il y a encore le mensonge et la mystification qui sont d'excellents pourvoyeurs de littérature, et bien sûr les vraies rencontres, détonantes collisions de cultures aux antipodes. Qui du reste est le civilisé, qui le sauvage ? La coercition, voire le massacre, étant pour le prosélyte du Progrès une des méthodes de son enseignement.

Jean Talon revisite à travers son premier livre traduit de l'italien, Explorateurs, touristes et autres sauvages, les relations de voyage qui ont nourri les fantasmes d'ailleurs. Les mots engendrent l'aventure, et inversement. René Caillié, âgé de 16 ans en 1815, embarque « avec 60 francs en poche » pour Dakar. Ce fils de boulanger rêvait depuis toujours d'être le premier Européen à pénétrer dans Tombouctou, la légendaire cité noire interdite aux chrétiens. D'après ses notes, il aurait bien été le premier, mais à quel prix. Quoique converti à l'islam, il essuie toutes les avanies, est réduit à la mendicité. De retour en France, il meurt prématurément mais à Mauzé, sa ville natale dans les Deux-Sèvres. Il a sa fête et sa statue - vêtu en Arabe, les yeux tournés vers le large.

Mémoires de Cabeza de Vaca, conquistador acculturé aux mœurs des Indiens Pueblo et autres autochtones qui l'accueillirent après son naufrage sur les côtes texanes, ou descriptif de l'île de Formose par « Psalmanazar l'imposteur », sans doute un Gascon qui s'était fait passer pour un Formosan, allant jusqu'à forger une fausse langue, à pratiquer cet idiome fabriqué de toutes pièces (la géographie apocryphe parue en 1704 à Londres inspire Jonathan Swift et ses Voyages de Gulliver). Dans ce petit bijou de topographie de l'exotique, Jean Talon, traducteur de Perec et de Michaux en italien, adopte le style ethnographique, à l'instar d'un Malinowski dans les îles Trobriand ou d'un Lévi-Strauss en forêt amazonienne, une écriture distanciée qui préserve la fraîcheur du regard ébahi du voyageur occidental face à l'indigène non moins stupéfait par l'irruption de cet alien blanc. La distance ménage l'effet de surprise, si ce n'est le vertige de l'irrémissible écart. La différence entre hommes sauvages et civilisés semble, selon Darwin, « plus marquée que celle entre animaux sauvages et domestiques ».

Jean Talon
Explorateurs, touristes et autres sauvages - Traduit de l’italien par Stéphanie Leblanc
Plein jour
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 16 euros ; 160 p.
ISBN: 9782370670434

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