Durant la nuit du 15 au 16 mai 1932, au large d'Aden, un incendie se déclare à bord du Georges Philippar, tout nouveau fleuron des Messageries Maritimes, lancé quelques mois plus tôt. À son bord, 730 passagers, dont un certain Albert Londres, reporter vedette au Journal, grand quotidien populaire qu'il venait de rejoindre, et par qui il s'était fait envoyer en mission dans la Chine en guerre. Un voyage épique, durant lequel il a disparu 49 jours. Selon André Martinet, futur époux de sa fille unique Florise, Londres en rapportait un reportage explosif : « C'est de la dynamite ! » lui avait-il dit. Mais le journaliste périt dans la catastrophe, comme plusieurs dizaines d'autres victimes. On n'a pas retrouvé son corps. Ce qui a contribué à susciter une théorie du complot, qui ressort régulièrement depuis près de 90 ans : « on » aurait commandité l'assassinat de Londres, afin de le faire taire. À l'époque, on envisagea même que l'exécutant pût être un serveur annamite, Nguyên Ái Quôc, plus connu par la suite sous le nom de Hô Chí Minh.

Ainsi s'achevait, tragiquement, à 47 ans seulement, le parcours d'un homme d'exception, saint patron des grands reporters, bourlingueur devenu conscience morale, symbole de l'indépendance de la presse, explorateur des marges de la société, donnant la parole à tous les réprouvés (galériens de Cayenne, bagnards de Biribi, forçats de la pêche aux perles, prostituées, Noirs d'Afrique sous la colonisation etc.) afin de dénoncer leur sort, et, si possible, de faire changer les choses. Non sans ambiguïtés parfois ni complaisance, et avec des résultats divers : il faudra attendre 1953 pour que disparaisse le bagne de Cayenne, où Dreyfus avait été détenu de 1895 à 1899.

Depuis ses débuts au Matin en 1906, jusqu'à sa mort, Londres, homme sans vraies attaches, aura couru le monde et l'aura raconté dans les colonnes des plus grands journaux, puis dans des livres à succès. Il avait l'intuition, le courage, le style (parfois excessif). On aurait aimé le lire dans les années 1930, sur l'Allemagne nazie, la guerre d'Espagne.

Benoît Heimermann ressuscite Albert Londres, dont un prix prestigieux porte le nom depuis 1933, avec talent et minutie, documents à l'appui. L'homme privé, en revanche, résiste à la biographie, et demeure mystérieux. À jamais, comme sa mort.

Benoît Heimermann
Albert Londres
PAULSEN
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 39,90 € ; 240 pages
ISBN: 9782375020982

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