Si "Cadet Rousselle a trois maisons, qui n'ont ni poutres ni chevrons", Hachette Livre en a au moins deux, à Vanves (Hauts-de-Seine) et quai de Grenelle (Paris 15e), qui ne sont plus de première jeunesse. Mais, à la perspective d'un rafistolage, le groupe désormais mondial a préféré un projet ambitieux confié à Jacques Ferrier, l'architecte, entre autres édifices, du pavillon France de l'Exposition universelle Shanghai 2010. A Vanves, où sera démoli au printemps prochain l'immeuble du 58, rue Jean-Bleuzen pour faire place nette au nouveau siège, qui accueillera les équipes de Grenelle, le maire ne cache pas sa satisfaction. "C'est bon pour le dynamisme de la ville", se réjouit Bernard Gauducheau, pour qui le projet vient conforter un pôle de communication à proximité d'Audiens et de France 3 Ile-de-France. "Séduit", l'édile a suggéré "une façade interactive, qui attire le regard", et se dit sensible à la conception du bâtiment, qui "donne une image de transparence et de modernité en nourrissant l'oeil du passant". Explications du P-DG d'Hachette Livre, Arnaud Nourry.
Livres Hebdo - Le quai de Grenelle, c'est fini ?
Arnaud Nourry - Notre réflexion est partie de Vanves, où 350 salariés d'Hachette Livre (comptabilité, trésorerie, informatique, numérique, commercial, Hachette Livre international, Hazan, Foucher, etc.) travaillent dans un immeuble dont nous sommes propriétaires mais qui est obsolète. Vieux d'une cinquantaine d'années, il est difficile à chauffer, pas climatisé, et un ascenseur sur deux est régulièrement en panne. Depuis plusieurs années, on me demandait de le rénover, mais c'eût été une opération coûteuse et compliquée pour les salariés. Aussi avons-nous préféré chercher le plus près possible un immeuble en location. Nous nous sommes greffés sur un projet en cours de construction qui présente l'avantage de relever de la même station de métro, mais de l'autre côté, à Malakoff. Et pour notre comptoir de vente LSH, également situé dans le bâtiment de Vanves, nous avons trouvé des locaux à Ivry-sur-Seine, à proximité de ceux de certains de nos concurrents, ce qui sera plus pratique pour nos clients.
C'est dans un second temps que nous nous sommes demandé quoi faire de Vanves et que nous nous sommes interrogés sur l'immeuble de Grenelle, dont nous sommes locataires depuis 1993 et où nous sommes un peu à l'étroit. Sans être aussi obsolète que celui de Vanves, il est assez ancien, et son propriétaire souhaite le remettre aux normes pour en faire un produit plus prestigieux. Tout y est conçu à l'envers, avec des machineries (chauffage, ascenseurs, etc.) au-dessous du niveau de la Seine. Si l'on fait face à une crue centennale, il sera hors service pendant plusieurs mois ! J'envisageais un déménagement depuis longtemps, mais il fallait trouver un lieu à l'image du groupe, devenu très international.
A Vanves plutôt qu'à Paris ?
Nous n'avons pas trouvé à Paris, et nous sommes partis sur une autre piste en lançant un concours d'architectes pour bâtir sur notre terrain de Vanves. Je rends hommage au maire de la ville et à l'équipe municipale, qui ont tout de suite dit banco. Nous avons travaillé avec eux pour affiner le cahier des charges de notre projet pour lequel nous avons sollicité cinq équipes d'architectes. Il y a eu deux finalistes et avec le lauréat, Jacques Ferrier, nous avons abouti à un très beau bâtiment qui abritera sur six étages le siège social d'Hachette Livre en 2014 ou au plus tard en 2015 et qui, vu du ciel, ressemble un peu à un H.
Comment l'évolution du groupe depuis son installation à Grenelle s'est-elle reflétée dans le cahier des charges du nouveau siège ?
Il faut reconnaître que les équipes d'Hachette Livre n'ont pas développé un attachement particulier à Grenelle. Le déménagement depuis le boulevard Saint-Germain est intervenu dans le contexte des difficultés de Matra-Hachette après l'échec de La Cinq. Nous avions participé à l'effort du groupe. Cette fois-ci, en revanche, il s'agit d'un projet développé dans le plus grand calme. Nous voulions à la fois un bâtiment au meilleur niveau possible en termes de confort pour les salariés et de consommation d'énergie - il sera aux normes HQE - ; un bâtiment inséré dans son environnement, transparent, lumineux, avec de l'espace ; et la possibilité d'y retrouver l'esprit des maisons, l'identité des marques du groupe, impossible à restituer à Grenelle. Mais pour l'instant le projet n'est pas défini dans son détail. Nous nous sommes juste assurés de pouvoir loger les 600 salariés de Grenelle, avec des possibilités d'extension et d'adaptation des espaces, sur un site qui dépende de la même station de métro que celui de Malakoff, baptisé Garamond.
Pourquoi conserver deux bâtiments distincts à Vanves et à Malakoff ?
Nous n'avions pas la place de regrouper tous nos services à Vanves, et nous aurions perdu l'objectif d'insertion du bâtiment dans son quartier. D'ailleurs, les maisons qui ont leur siège à différents endroits de Paris le conservent. Nous nous contentons de réinstaller les équipes de Grenelle dans un autre lieu qui constituera la signature immobilière d'Hachette Livre.
Dans quelle mesure votre nouveau siège reflétera-t-il le caractère international d'Hachette ?
Nous sommes d'abord un leader français. Cet immeuble, ce monument sera avant tout le lieu de travail de collaborateurs du groupe en France, c'est notre ligne directrice. Nous avons voulu du beau, mais d'abord du confort de travail pour les équipes. Cependant, il sera aussi le lieu d'accueil de nos patrons de filiale, d'où le choix d'un bâtiment prestigieux, qui soit à la hauteur de l'image du groupe.
Le déménagement du Quartier latin vers le 15e avait été très mal vécu en interne. Ne craignez-vous pas des difficultés analogues en passant le boulevard périphérique ?
C'était il y a vingt ans, et c'était un peu traumatique non seulement parce que nous quittions le centre de Paris mais aussi parce que, psychologiquement, le déménagement apparaissait comme un repli. La situation est tout à fait différente aujourd'hui : l'entreprise est devenue un groupe d'édition mondial et vise un immeuble prestigieux conçu par un grand architecte. C'est un vrai projet d'entreprise, qui vient souligner le succès de la stratégie d'Hachette Livre ces dernières années, pas un simple déménagement de bureaux. Nous avons consulté les instances représentatives du personnel et informé les équipes, et les échos sont très positifs. La construction de ce monument sera aussi, comme l'a été notre changement de logo, un symbole fort d'appartenance pour nos filiales à l'étranger. Elle se situera dans une grande fidélité à ce que nous sommes. C'est un acte de foi de notre actionnaire dans nos métiers. On ne fait pas cela sans cette conviction.
Cependant votre actionnaire, Lagardère, se désinvestit plutôt des métiers de l'écrit en vendant son portefeuille de presse internationale pour miser sur le sport.
Je ne peux parler à sa place. Mais Hachette Livre est au coeur du groupe depuis longtemps, il s'est construit internationalement depuis huit ans et je crois que Lagardère est très fier de ses résultats. Il n'y a pas de parallèle à faire avec la presse internationale. Il n'est pas incompatible d'investir dans le sport en étant le deuxième éditeur mondial. Arnaud Lagardère a toujours dit qu'il voulait être sur plusieurs domaines. Si nous avons mené notre projet immobilier en totale autonomie, Lagardère a donné son accord enthousiaste.
Combien va coûter le nouvel immeuble ?
C'est un investissement de l'ordre de 50 millions d'euros, mais l'ensemble de l'opération se développe dans une équation économique proche de celle de Grenelle, avec des charges qui ne sont guère plus élevées dans un contexte où nos sommes propriétaires, ce qui est mieux au plan patrimonial.