Emile Guimet (1836-1918) était un "entrepreneur du savoir", un "collectionneur d’idées", un homme dont, au soir de sa vie, accablé par les deuils, la plus grande fierté fut d’avoir été "utile au peuple". En particulier le "sien", les ouvriers de son usine de Fleurieu-sur-Saône où se fabriquait le fameux bleu outremer, invention de son père qui assurera à la famille une fortune considérable. La compagnie chimique Guimet sera ainsi l’embryon du futur Péchiney.
Guimet était donc d’abord un grand patron. Un industriel avisé, qui développa son entreprise dans la plus pure tradition d’un certain XIXe siècle, paternaliste et social. C’était un collectionneur compulsif d’objets, pour la plupart rapportés de ses nombreux voyages. Après l’Egypte, en 1865, il a passé une grande partie de son temps à pérégriner. En 1876-1877, par exemple, il s’offre un tour du monde "sabbatique" de six mois en compagnie du dessinateur et peintre Félix Régamey, qui les mènera jusqu’en Inde du Sud, via les Etats-Unis, le Japon et la Chine. Le Japon les enthousiasmera, la Chine moins, tandis que les grands temples de l’Inde dravidienne fascineront et enchanteront cette âme inquiète, en quête de toutes les religions. Un peu à la manière de Loti - avec qui Régamey polémiquera à propos de Madame Chrysanthème et des femmes nipponnes -, lequel effectuera à peu près le même périple vingt-trois ans plus tard. Peut-être Loti avait-il lu les innombrables récits illustrés de ses voyages, que Guimet publia avec une régularité de métronome. C’était aussi un musicien passionné, compositeur d’un opéra chinois, Taï-Tsoung, et de morceaux pour orphéons, qu’il dirigeait en personne !
Mais Guimet était surtout un visionnaire, un pionnier de l’archéologie et de l’ethnographie, un "comparatiste" des arts et des civilisations qui n’est pas sans annoncer Malraux, et qui décida un jour d’édifier des musées afin de rassembler ses collections, de les montrer afin d’éduquer le peuple, de l’amener à découvrir d’autres cultures, dans un esprit fraternel. Une belle utopie, qui a légué à la France un musée lyonnais, fermé en 2004 mais qui revit dans celui des Confluences, et un autre à Paris qui porte son nom, en toute justice, et constitue l’un des trésors de notre patrimoine. J.-C. P.