Avant-critique Roman

Guillaume Nail, "On ne se baigne pas dans la Loire" (Denoël) : Le chant des enfants morts

Guillaume Nail - Photo © Astrid di Crollalanza

Guillaume Nail, "On ne se baigne pas dans la Loire" (Denoël) : Le chant des enfants morts

Sans pathos, Guillaume Nail métamorphose un ancien fait divers en tragédie classique.

J’achète l’article 1.5 €

Par Jean-Claude Perrier
Créé le 02.01.2023 à 09h00

Le 18 juillet 1969, dix-neuf enfants du centre de loisirs de Mûrs-Érigné, qui se baignaient dans la Loire, près de Juigné, sont morts noyés à la suite de l'effondrement d'un banc de sable. Le directeur du centre, un jeune instituteur de 27 ans très apprécié de tous, qui n'était pas présent sur les lieux au moment du drame, a d'abord été écroué, puis remis en liberté, et n'a fait l'objet d'aucune poursuite.

C'est à partir de ce que les journaux appellent un « fait divers tragique » que l'éclectique Guillaume Nail, traducteur, scénariste, journaliste, comédien, auteur de livres de jeunesse et young adult, a imaginé son premier roman pour adultes, en toute liberté mais comme en hommage à la mémoire des victimes. Et, quoique sans pathos aucun, il en a fait une sorte de tragédie en trois actes, à l'antique. Ainsi qu'un hymne à la beauté et à la fragilité de l'adolescence.

Tout commence et finit un 31 août de canicule, le dernier jour des six semaines de colo. Alors que le groupe, rien que des garçons, des petits et des plus âgés, est en route pour une dernière balade avant le retour à la vie normale, le car tombe en panne. On débarque. La Loire est là. Pique-nique, partie de foot. Et puis l'un des garçons, sans doute Gus, lance : « On va se baigner ? » Pourtant, chacun sait qu'on ne doit pas, à aucun prix, que la Loire est traîtresse, ses bancs de sable instables, ses trous d'eau redoutables.

Il y a eu des précédents. Le matin, on avait organisé une activité culturelle, puis une chasse à l'homme qui avait failli mal tourner : le gros Pierre, qui déteste son corps depuis que, dix ans auparavant, il s'était vu surnommer Pupulle et traiter de « tapette », avait refusé de jouer la cible. C'est Farid, son copain de cœur, qui s'y était collé. Mais Pierre s'était quand même fait prendre par Gus. Ah, ce Gus ! Le beau gosse, dans toute la gloire de ses 17 ans, le boute-en-train, le mariole. Mais aussi le risque-tout, avec ses pulsions suicidaires. À cause de ses premiers poils, il ressemble à son père qu'il déteste, un « cas soc' » qui frappe sa femme.

Gus n'est pas très pressé de rentrer chez lui. En tout cas, il ne laisse pas indifférente la jeune Pauline, 22 ans, la fille du châtelain d'à côté, gâteux. Finalement, Benoît, le directeur, un pauvre type, « fétichiste olfactif » qui dérobe en douce des fringues aux gamins, les hume puis les stocke chez lui, rassemble tout son petit monde et autorise la baignade. C'est beau comme un tableau de Frédéric Bazille, dit Guillaume Nail. Bien vu.

Mais, à l'acte III, retour au présent du récit et au drame, subodoré dès le début : un banc de sable s'écroule, c'est la panique. Certains garçons sont emportés, d'autres plongent pour les secourir... Bilan : 7 morts et un disparu. On se doute de qui.

Guillaume Nail, sans quitter l'univers des ados, a réussi son premier roman adulte, sensible et sensuel, au style syncopé, qui s'attache au moindre détail et aux impressions. Impressionniste, comme Bazille, mort jeune lui aussi, mais à la guerre de 1870.

Guillaume Nail
On ne se baigne pas dans la Loire
Denoël
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 16 € ; 160 p.
ISBN: 9782207168721

Les dernières
actualités