La grâce est une longue patience. Il faut pour s’y soumettre écrire peu, vivre davantage, lire beaucoup, être résolument inactuel, voyager, connaître "la mélancolie des paquebots", "l’étourdissement des paysages". Ce programme bien rempli, depuis vingt-cinq ans et désormais quatre livres (dont le sublime Grand chariot, Gallimard, 2002, peut-être l’un des plus beaux romans français de ces dernières années), Matthieu de Boisséson s’emploie à l’accomplir. Cet avocat bien connu sur la place de Paris, versé dans l’arbitrage international, ne saurait être réduit à la vulgarité du dandysme indolent dont veulent l’accabler les quelques happy few qui le suivent de livre en livre. C’est avant tout un poète, comme en témoigne presque chacun des textes qui composent ce Défoncer la cage, recueil enchanté de fragments qui s’organisent entre eux selon la seule logique d’un "marabout de ficelle" onirique. On croisera donc en ces pages, entre autres, beaucoup d’oiseaux, quelques héritières, Roman Polanski, le Brésil comme un Neverland retrouvé, ces Pyrénées qui jouent à cache-cache entre le Béarn et le Pays basque dont l’auteur est l’enfant, une mannequin cocaïnomane, un pilote automobile, un pataphysicien renfrogné sur la plage de Biarritz, des amis de toujours, d’autres plus récents, une mère qui bat la campagne…
Avec un talent d’aquarelliste sans commune mesure parmi ses pairs (si ce n’est chez les textes de plage et d’enfance de Chantal Thomas ou dans Vie rêvée de Thadée Klossowski de Rola), Matthieu de Boisséson s’y entend pour donner à voir. Voici peut-être la plus belle collection d’épiphanies qui soit, à la fois ligne claire et éclairée comme de l’intérieur par l’obsession sadienne du désir et de la mort. La grâce et rien d’autre.
Olivier Mony