Histoire/France 7 novembre Hervé Fischer

Une société se caractérise aussi par les couleurs qu'elle affiche ou qu'elle cache. Dans ses travaux historiques, Michel Pastoureau a montré la richesse de cette approche. Le franco-canadien Hervé Fischer adopte un point de vue différent qu'il dévoile dans un ouvrage solidement illustré. Ce sociologue de la couleur, également artiste multimédia, se propose d'examiner les liens entre les sociétés et leur système chromatique, des pigments colorés de la préhistoire à nos jours.

Au fil de cette longue durée, il fait apparaître la réalité sociale des codes et usages des couleurs. « Nous savons par la peinture et par plusieurs traités quels étaient les codes chromatiques des costumes de la Renaissance. Ces couleurs indiquaient les rangs sociaux, tout en se référant à des valeurs symboliques morales. » Les pays et les régions ont aussi leur teinte : le blanc pour la France, le rouge pour l'Espagne, le bleu pour l'Angleterre, l'orangé pour la Hollande.

La réforme vient apaiser cette débauche de couleurs. C'est l'« intermède du noir » qui perdure jusqu'à aujourd'hui dans la haute couture et que l'on peut observer notamment dans les œuvres de Rembrandt. Il faudra attendre les romantiques puis Flaubert pour décrire dans Salammbô « des oiseaux à la sauce verte dans des assiettes d'argile rouge rehaussée de dessins noirs ». Le chromatisme se libère de nouveau chez Lautrec, dans les Van Gogh qui ressemblent à des incendies ou sous le pinceau primitif d'un Gauguin. Cette « explosion chromatique » fut sans précédent et dura jusqu'à nos jours. La grammaire des couleurs trouva néanmoins ses nouveaux romanciers minimalistes avec Mondrian, le Bauhaus et les artistes puristes du mouvement De Stijl.

Nous serions aujourd'hui dans une sorte de désordre chromatique. Mais celui-ci est en passe de rentrer dans l'ordre. « En ce début de siècle, le retour des couleurs vives semble correspondre à une simplification de la sensibilité et du langage chromatiques. » On favorise les tons « purs » pour vendre de nombreux produits.

L'originalité du travail d'Hervé Fischer est de nous montrer que les artistes, des grottes du Magdalénien à l'outrenoir de Soulages ont illustré les rapports entre couleurs et sociétés. Ils sont les témoins de nos usages, de notre manière de vivre avec les couleurs. « La couleur est une production idéologique, par conséquent un fait social. » Certains artistes s'en servent justement pour résister à ces teintes consuméristes ou à cette propension à voir de la peinture partout. « Nous ne colorions pas seulement les photos et les films anciens, ou les images scientifiques. C'est le monde lui-même que nous colorisons comme une image, à toute vitesse et en multicolore, jusqu'à l'abus, en fonction de notre goût du bonheur, identifié aux couleurs des desserts sucrés. »

A travers cet itinéraire qui se déploie sur la longue durée, Hervé Fischer met en lumière les variations entre les couleurs, les codes d'utilisation et les sociétés qui les produisent. Entre peur bleue, colère rouge et rire jaune, c'est évidemment passionnant.

Hervé Fischer
Les couleurs de l'Occident : de la préhistoire au XXIe siècle
Gallimard
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 35 euros ; 512 p.
ISBN: 9782072781506

Les dernières
actualités