Avant-critique Portraits

Gertrude Stein, "Exacte ressemblance" (Cambourakis)

Gertrude Stein - Photo © DR/Cambourakis

Gertrude Stein, "Exacte ressemblance" (Cambourakis)

Dans Exacte ressemblance, Gertrude Stein signe les portraits de personnalités de son environnement artistique parisien entre 1910 et 1931. De savoureux textes brefs.

Parution 6 novembre

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Par Marie Fouquet
Créé le 28.10.2024 à 09h00

Portraits en transe. Après Le livre de lecture, Le monde est rond, Notre mère à tous ou encore L'autobiographie d'Alice B. Toklas, les éditions Cambourakis publient Exacte ressemblance de Gertrude Stein. Cette « brève anthologie de portraits textuels composés de 1910 à 1931 », traduits et préfacée par Martin Richet, est une succulente sélection de formats courts de la grande poétesse, autrice et collectionneuse d'art américaine. Ces portraits ont été écrits quelques années avant l'un des textes les plus connus de Stein, L'Autobiographie d'Alice B. Toklas, et semblent en être le laboratoire de recherche, l'étape de préparation. Elle se trouvait alors déjà à Paris où elle fréquentait et réunissait les plus grands artistes de cette époque, qu'elle accueillait notamment dans le salon tenu avec son frère Léo et Alice B. Toklas, rue de Fleurus, dans le 6e arrondissement.

Parmi ces portraits, on retrouve notamment Matisse, Apollinaire, l'écrivaine Constance Fletcher, la mécène Mabel Dodge, mais aussi Cézanne, Picasso, Juan Gris, Erik Satie et bien d'autres. Surtout, on y renoue avec le trait si particulier de Gertrude Stein, sa manière de marteler certains mots ou formules, de les répéter jusqu'à ce qu'ils deviennent des ritournelles qui œuvrent dans la tête et sur les lèvres comme des psalmodies chamaniques propices aux états de transe. Dans le portrait de Picasso, dont elle était très proche et qui lui-même avait peint son portrait à elle (avant l'invention officielle du cubisme) en 1906 soit cinq ans avant ce texte, elle écrit : « Ce quelqu'un avait toujours fait sortir quelque chose de ce quelqu'un. Ce quelqu'un travaillait. Ce quelqu'un avait toujours travaillé. Ce quelqu'un avait toujours fait sortir quelque chose de ce quelqu'un qui était une chose solide, une chose charmante, une chose sympathique, une chose confondante, une chose déconcertante, une chose simple, une chose claire, une chose compliquée, une chose intéressante, une chose perturbante, une chose repoussante, une chose très jolie. » À propos de deux amies venues des États-Unis pour peindre et vivre ensemble, Stein compose : « Georgine Skeene aimait voyager. Helen Furr n'avait guère plaisir à voyager, elle aimait rester au même endroit et être gaie là. Elles furent alors ensemble et voyagèrent vers un autre endroit et restèrent là et furent gaies là. Elles restèrent là et furent gaies là, pas très gaies là, tout simplement gaies là. » Mais les proches et les humains ne sont pas les seuls sujets de ces portraits savoureux. Elle en adresse un, par exemple, à la littérature, dans le sublime « Descriptions » : « Un livre qui quand on l'ouvre attire l'attention par son refus assuré de la photographie comme forme artistique. Un livre qui garde à l'esprit qu'ayant eu une coutume il lui en faut seulement toujours davantage. Un livre qui ne peut imprégner personne d'aucun désir sinon celui qui fait ultérieurement advenir un changement. »

Gertrude Stein
Exacte ressemblance
Cambourakis
Traduit de l'anglais (États-Unis) et préfacé par Martin Richet
Tirage: 1 200 ex.
Prix: 20 € ; 168 p.
ISBN: 9782366249422

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