Avant-Portrait

Je chinais à Chinon », dit Gérard Macé, la prunelle scintillant de malice. Chinon, en Touraine, au pays du vin et de Rabelais, où le poète, essayiste et photographe né à Paris en 1946, trouve chez un libraire les œuvres d'Alain Corbin, dont Le miasme et la jonquille qu'il n'avait jamais eu l'occasion de lire. Il tombe sur une note relative à l'énigme du navire Arthur au XIXe siècle, « un vaisseau fantôme dont les membres de l'équipage sont tous morts ou tombés malades ». Le bateau transportait de la poudrette. De la quoi ? L'auteur de Colportage, éternel amoureux des mots, se renseigne : il s'agit d'excréments en poudre, une sorte de fumier lyophilisé, un engrais facilement transportable et exportable, en l'espèce aux Antilles sur la route desquelles le cargo s'était perdu.

Poudrette

La poudrette enflamme l'imagination de l'écrivain. Germe dans son esprit l'idée d'un récit sur ce transport de déchets, des déchets en général, et notre rapport à la saleté. Le navire Arthur, publié chez Arléa ces prochains jours, articule une réflexion autour du pur et de l'impur, à travers le parcours de trois médecins : Parent-Duchâtelet qui enquêta sur l'étrange épidémie survenue à bord du navire ; Adrien Proust, père de Marcel, champion de la lutte contre la peste et le choléra ; le docteur Destouches, alias Louis-Ferdinand Céline.

Ne pas s'attendre à un manifeste contre l'hygiénisme ambiant, cette époque aseptisée obsédée par une pureté originelle, purement fantasmée. Comme à son habitude, Gérard Macé, pour érudit qu'il soit, n'élabore pas de grandes théories et préfère emprunter les sentes de l'errance poétique, une pensée plus en arabesques qu'en postulats carrés.

Le fil rouge qui relie ses œuvres aux sujets fort divers - relation de voyage à Kyôtô ou parmi les chefferies Bamiléké, et récemment une vie de Sade, Et je vous offre le néant (Gallimard, 2019) - est la poésie. Son tout premier livre, sous l'égide d'André Pieyre de Mandiargues, est un recueil de poèmes, Le jardin des langues. Il fréquente plus tard Henri Michaux ou Louis-René des Forêts.

Mais comment un fils d'ouvriers qui avaient vécu dans une seule pièce et ne possédaient pas de livres (l'appartement de Gérard Macé, sis en bas de Pigalle, est une bibliothèque doublée d'un petit musée mêlant tableaux, photos et autres curiosités) a-t-il pu devenir l'honnête homme qu'il est ? La conjonction d'étoiles de l'après-guerre entre essor de l'Etat-Providence, une certaine idée de la haute culture pour tous, la croissance des Trente glorieuses, sans doute. Quelques accidents heureux aussi - Macé aime citer Caillois et sa « cohérence aventureuse » : « le souvenir ébloui d'un dictionnaire » en primaire, plus tard au hasard des rayons de la bibliothèque municipale la rencontre de Confucius, dont le nom latinisé l'embarqua à sa grande surprise sur les voies de l'empire du Milieu. Mais Gérard Macé doit surtout à lui-même ce qu'il est : un tempérament singulier, une gargantuesque appétence de savoir, une grande liberté d'esprit, beaucoup de générosité.

Le navire Arthur est une charge non masquée contre ce troisième médecin hygiéniste qui vire à l'eugénisme, Céline : « Ça fait longtemps que je l'ai dans le collimateur. » Le jeu stylistique de Destouches, dont beaucoup trop, selon l'essayiste, ont fait grand cas, ne vaut pas la chandelle morale. « Voulez-vous être auteur ? Voulez-vous être critique ? Commencez par être homme de bien. » Gérard Macé ne contredirait pas Diderot.

Gérard Macé
Le navire Arthur
Arléa
Tirage: 0
Prix: 15 euros
ISBN: 9782363082213

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