Le « tigre celtique » est donc — provisoirement à terre. Ce qui n’est que logique. Les légendes celtes abondent en créatures de toute sorte, mais jamais on n’y vit de tigre. L’Irlande s’est fourvoyée, notamment dans une spéculation immobilière qui n’a réussi qu’à défigurer les alentours de ses villes. Mais ce pays a d’autres ressources, il a traversé bien d’autres crises, et il s’en remettra encore. La preuve de son étonnante vitalité en est le poids que pèse sa littérature dans le monde, sans commune mesure avec sa superficie, ni sa population — 4,5 millions d’habitants en 2009. Ainsi, l’Irlande a-t-elle engendré, à elle seule, quatre prix Nobel de littérature (contre 9 pour le Royaume Uni ou 12 pour la France, près de 15 fois plus peuplée) : William Butler Yeats, en 1923 ; George Bernard Shaw, en 1925 ; Samuel Beckett, en 1969 et plus récemment, Seamus Heaney, en 1995. Mais l’Irlande fut aussi la terre natale — et souvent d’inspiration — d’une pléiade d’écrivains, parmi les géants de la littérature mondiale : Bram Stoker et Jonathan Swift (ces deux-là ayant forgé des créatures, Dracula et Gulliver, qui hanteront encore longtemps nos imaginations), mais aussi Oscar Wilde, Sean O’Casey ou Colum McCann et bien d’autres encore. Sans oublier Colm Toibin, à qui je voue une admiration particulière. Et sans oublier, bien sûr, James Joyce. Partout, dans Dublin, on peut trouver l’écho, passé et présent, de cette fibre littéraire. Au point que l’Unesco l’a sacrée, en juillet 2010, « Ville Unesco de la littérature ». Existe-t-il d’autre pays, d’autre capitale, qui aient eu l’idée d’instituer une fête nationale, le Bloomsday, qui se tient chaque année le 16 juin, date anniversaire du jour pendant lequel se déroulent les événements fictifs relatés dans Ulysse et que Joyce avait situés le 16 juin 1904 ? La première célébration du Bloomsday remonte à 1954. En 2004, pour l’édition du centenaire, ce fut une débauche de manifestations en tous genres, savantes ou ludiques. Dublin avait reçu plus de 800 universitaires et spécialistes venus du monde entier, et des milliers de touristes séduits par l’œuvre de Joyce. Mais je voudrais parler ici d’une autre initiative, peu connue chez nous, et qui pourrait peut-être donner des idées à   certains. En 2006, les bibliothécaires de Dublin, soutenus par la municipalité, ont imaginé une manifestation littéraire d’un nouveau genre, baptisée « One City, One Book ». Soutenue par l’office de tourisme de la ville, l’office de tourisme irlandais et l’éditeur Penguin, elle propose désormais chaque année, au mois d’avril, à tous les Dublinois d’échanger autour d’un même livre. L’an dernier, c’était Le Portrait de Dorian Gray , d’Oscar Wilde. En 2011, ce sera Ghost Light, le dernier roman (paru en juin 2010) de Joseph O’Connor (pour la petite histoire, c’est le frère de la chanteuse Sinead O’Connor), dont plusieurs livres ont déjà été traduits en France, la plupart chez Phébus. Pendant tout le mois d’avril 2011, plus d’une cinquantaine de manifestations, dans différents lieux de la ville, permettront au Dublinois de communier autour de l’ouvrage. Pour l’occasion, une édition originale du livre sera mise en vente avec la mention « vintage » (sic) « Dublin One City, One Book ». Les bibliothécaires mettront à la libre disposition du public 500 exemplaires de l’ouvrage, ainsi que des versions audio et MP3. L’auteur viendra lui-même lire des passages de son texte, à l’invitation des dublinois (par tirage au sort) dans les endroits les plus divers : domiciles, bureaux, jardins… Les organisateurs de la manifestation encouragent l’imagination la plus débridée ! Pour plus de renseignements : www.dublinonecityonebook.ie    

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