A quarante-deux ans, Gauthier Van Meerbeeck a la lourde tâche de dépoussiérer le catalogue d’un éditeur qui soufflera ses 70 bougies cette année. Avec son passé d’avocat et sa volonté affirmée de réduire le nombre de parutions à moins de cent par an, on pourrait craindre que ce jeune directeur éditorial à l’élégant - mais pas guindé - costume bleu ne soit qu’un businessman obsédé par le chiffre. Or cet aspect-là du métier lui pèse. "Sur le plan humain, c’est coûteux, déplore-t-il. Ne pas renouveler des collaborations avec des auteurs qui n’ont pas démérité n’est vraiment pas simple. Ils sont les victimes de notre nouvelle politique. Cependant je ne regrette rien car je suis persuadé qu’elle est nécessaire pour l’avenir de la bande dessinée au Lombard."
Droit à l’erreur
Car Le Lombard, il l’a dans la peau depuis tout petit. Bruxellois né sous l’ombre bienveillante du portrait de Tintin surplombant la gare du Midi, il n’avait pas le niveau de dessin pour espérer suivre les pas des auteurs qu’il lisait enfant. Ce sera donc le droit "parce qu’on dit que ça mène à tout", puis, pendant deux ans, la profession d’avocat, spécialisé notamment dans le droit des étrangers. Pourtant, "je n’avais ni le talent, ni la vocation", reconnaît-il. Il intègre les éditions juridiques Larcier, où il apprend les bases du métier d’éditeur. "Jusqu’à un coup de chance immense : Yves Sente, patron du Lombard, passe une annonce pour recruter son adjoint. Ce poste était fait pour moi !" A 30 ans, Gauthier Van Meerbeeck réalise son rêve de gosse.
Très vite, Yves Sente, accaparé par son travail de scénariste (XIII, Thorgal, Blake & Mortimer…), lui laisse les mains libres, et le droit à l’erreur. "En arrivant, je trouvais que Le Lombard avait un peu délaissé son identité d’éditeur BD généraliste héritée du Journal de Tintin. J’ai tenté des choses, et certaines, comme les comics Freak Angels, ont été des ratages car elles ne collaient pas avec l’esprit de la maison." S’il est d’un contact naturel et enthousiaste, ce grand brun aux tempes grisonnantes pèse toutefois chaque mot, baisse la tête pour réfléchir au bon terme qui exprimera sa pensée, vapote pour rester concentré. "Mais il n’est pas du tout langue de bois", glisse un collaborateur.
L’homme se fait ainsi direct et franc quand il raconte comment il a pris la suite de Pôl Scorteccia et Arnaud Delacroix, éphémères successeurs d’Yves Sente à la tête de la maison bruxelloise, et surtout comment il a fini par pousser ce dernier vers la sortie sur la série phare du Lombard : Thorgal. "A mon sens, sous sa plume, Thorgal manquait d’émotion. J’ai essayé de le faire évoluer, d’aller chez lui pour lui expliquer, mais la rupture était inévitable pour le bien de la série qui est un enjeu incontournable pour la maison."
Patrimoine et innovation, diplomatie et décisions radicales, Gauthier Van Meerbeeck apprend chaque jour à affirmer sa vision éditoriale et managériale, entre Bruxelles et Paris. Avec une équipe réduite de deux éditrices, son emploi du temps chargé le contraint de rattraper ses centaines de mails en retard le week-end, avant de s’occuper de ses deux jeunes enfants. Relancer les grands héros tels Ric Hochet ou Bob Morane, explorer des champs inédits avec "La petite bédéthèque des savoirs" (1), préparer un livre de 777 pages reprenant des histoires du Journal de Tintin… Les chantiers sont nombreux pour une maison qui demeure finalement modeste au sein du géant Média-Participations. "Mais, dit-il, ce n’est pas déplaisant d’être celui qui peut monter et surprendre…"
(1) Voir "Bande dessinée : la quête du savoir", LH 1068, du 15.1.2016, p. 18-19.