Parmi les commémorations du centenaire des éditions Gallimard, créées en 1911, la Fondation des Treilles a organisé en mai 2011 un colloque réunissant des historiens de la littérature et des professionnels du livre, sous la direction d'Alban Cerisier, Pascal Fouché et Robert Kopp. L'objet était l'analyse thématique du catalogue Gallimard, des origines à aujourd'hui. Les actes en sont publiés, passionnants et riches d'enseignements. Ils mettent aussi en valeur le travail de Gaston Gallimard, fondateur de la maison, éditeur et figure d'exception.
Parmi les contributions, Robert Kopp étudie le rôle fondamental des collections dans la construction et la communication de Gallimard. Il rappelle le dilemme des fondateurs, entre publier de la littérature exigeante et des succès commerciaux nécessaires à sa survie. C'est Claudel le premier, poète certes mais qui avait le sens du matériel, qui en a pris conscience, relayé par Gaston, nourri de son expérience américaine. Kopp revient sur la lutte âpre, faite de mauvaise foi, de coups bas et de protestations d'amitié réciproques entre Gallimard et Grasset. Et il insiste sur l'importance des prix littéraires dans l'équilibre de la maison.
Le libraire Henri Vignes retrace un aspect moins connu du "style Gallimard" : la bibliophilie, les éditions originales avec leurs "grands papiers", lesquelles ont aujourd'hui quasiment disparu, sauf pour quelques auteurs phares. Outre l'esthétique, ces éditions, destinées en priorité à des sociétés de souscripteurs, Les Bibliophiles de la NRF puis Les Amis de l'édition originale, ont rapporté à la maison des revenus non négligeables.
Pascal Fouché, directeur des éditions du Cercle de la librairie, raconte l'histoire, tumultueuse, de Gallimard avec certains de ses auteurs, qui n'étaient pas "maison" à l'origine, et qu'elle a "débauchés". Gaston était célèbre pour sa ténacité à toute épreuve. Aragon, Montherlant, Cocteau, Morand ou Yourcenar furent sensibles à ses sirènes. Le seul qui résista, Mauriac, dut attendre sa pléiadisation pour intégrer un catalogue dont il n'approuvait pas tous les choix éditoriaux.
Martine Poulain, directrice de la bibliothèque de l'Institut national d'histoire de l'art, recense les 50 best- et long-sellers publiés par Gallimard depuis 1911, montrant que Gaston et ses auteurs-éditeurs (Gide, Malraux, Camus, Queneau, Paulhan...) ont gagné leur pari : vendre par millions de la littérature de qualité. Record absolu : Le Petit Prince de Saint-Exupéry, avec ses 13 millions d'exemplaires depuis 1946. Derrière vient Camus, avec L'étranger (1942, plus de 10 millions) et La peste (1947, 6,8 millions). Le cinquantième du classement est Le hussard sur le toit de Giono, avec "seulement" 1 396 000 exemplaires !
Parmi les entretiens qui donnent de la vie à l'ouvrage, celui avec Isabelle Gallimard, la soeur cadette d'Antoine, qui a succédé à sa mère, Simone, à la direction de Mercure de France en 1995. Elle évoque son grand-père, Gaston, mort en décembre 1975, avec affection et respect. Et raconte comment, lorsqu'elle était enfant, la vie quotidienne de la famille était intimement mêlée à la littérature. Ainsi, sa mère l'envoyait «prendre des cours de danse chez Lucette Destouches tous les jeudis à Meudon", afin de renflouer les finances du couple Céline. Mais elle n'a pas rencontré à l'époque l'écrivain, qu'elle admire particulièrement et qui avait rejoint Gallimard en 1951, grâce à Malraux.