À cause de la vie. « Jamais, au cours de sa longue vie, Feron Hood ne put décrire comme elle l'aurait aimé ce qu'elle avait ressenti en voyant pour la première fois Meredith Grace Jellicoe. » Élèves à l'école de filles Lovegood, Feron et Meredith ne pourraient être plus différentes l'une de l'autre. La première est « brune » et « compliquée », la seconde « blonde » et « banale », comme l'écrit Meredith dans une nouvelle les mettant toutes deux en scène. Orpheline d'une mère alcoolique, Feron a grandi sous la tutelle d'un oncle abusif. Le pire qui soit arrivé à Meredith est la perte de son chien. Pourtant, Susan Fox, la directrice de Lovegood, peut se réjouir d'avoir placé les deux jeunes filles dans la même chambre, tant l'amitié qui grandit entre elles semble pouvoir résister à tous les obstacles. Les années passent. Meredith reprend la plantation de tabac familial, Feron tente de vivre de sa plume à New York. Quand on lui demande l'origine de sa vocation, elle pense d'abord à la professeure de littérature qu'elle et Meredith écoutaient religieusement lorsqu'elle leur lisait Joyce ou Tchekhov. Mais si Feron se montre tout à fait honnête envers elle-même, elle sait que sa vocation découle de la jalousie qu'elle a ressentie le jour où, pour la première fois, elle a lu un texte de Meredith, enfermée dans les toilettes de la fac. « La jalousie, comme un animal jusque-là endormi au fond de moi, s'est réveillée et j'ai pensé : "Je peux le faire. Je peux même faire mieux." » Mais peut-on parler de jalousie et de compétition quand une seule des deux personnes cherche à surpasser l'autre ?

Les lecteurs ayant déjà croisé sur leur chemin pavé de livres les romans de Gail Godwin savent l'immense subtilité de ses portraits de femmes, indépendantes et vivantes au point parfois de courir le risque de s'abîmer. Parce que c'est nous est l'histoire d'une amitié complexe où les parts d'ombres de ses deux héroïnes ont toute leur place, où l'envie née de la rivalité est un moteur pour avancer et se construire. Incarnations du jour et de la nuit, de l'enfance choyée ou volée, Meredith et Feron, si dissemblables au début de leur histoire, se parent, au fil des petits accrocs ou des grands accidents jalonnant leur trajectoire, des milles nuances qui les rendent aussi attachantes qu'inoubliables.