Roman/France-Haïti 9 mai Nicolas Idier et Makenzy Orcel

Le projet de ce livre unique, qualifié par ses auteurs de « recherche fondamentale », est né en février 2018, à la Foire du livre de Calcutta, dont la France était l'invitée d'honneur. Nicolas Idier, alors attaché au livre et débat d'idées à l'Institut français-Ambassade de France à New Delhi, était le maître d'œuvre de cette opération, et l'écrivain haïtien francophone Makenzy Orcel faisait partie de la délégation. Ces deux-là se connaissaient déjà. Chacun avait lu les livres de l'autre, et le diplomate avait déjà invité le poète à Pékin, où il avait été en poste auparavant. Mais ils n'auraient jamais imaginé qu'ils écriraient un jour un livre ensemble, non point exactement à quatre mains, mais plutôt dans un dialogue totalement informel, plus proche des romans épistolaires à la façon du XVIIIe siècle, sauf qu'Internet a ici remplacé la poste. Cela vaut mieux, dans ce cas précis, étant donné l'éloignement géographique, et les voyages incessants de l'un et de l'autre.

L'idée de l'ouvrage, elle, ainsi que son titre l'indique, est le fruit d'une nuit particulièrement arrosée dans la boîte de nuit du Park Hotel de Calcutta, où logeait la délégation. Makenzy Orcel est plutôt coutumier des abus d'alcool, il le raconte volontiers, l'écrit même. Pour Nicolas Idier, c'est a priori plus surprenant. Mais, à la lecture de leur « correspondance », où l'intime occupe une place privilégiée, on découvre un autre personnage, cravate et costume de diplomate ôtés, avec sa part de folie, ses angoisses, son désespoir, parfois même un côté un peu grunge, rebelle. En écho à la révolte profonde du rasta haïtien contre la misère, la corruption, la violence, les traumas post-coloniaux qui gangrènent son pays, l'intellectuel français, qui porte sur la situation un regard sans indulgence, voire parfois catastrophé, confie : « Jour après jour, je me sens plus politique. » Il n'est pas sûr que le fait d'habiter de nouveau dans l'Hexagone - à Angoulême, où il est chef du pôle développement de la Cité de l'image -, de vivre les convulsions qui l'agitent, les drames qui le frappent, l'ont rendu plus optimiste. Pourtant, l'Inde n'était pas un pays facile, mais la quitter constitua pour lui un véritable « arrachement », même si, au final dit-il, « je ne me sens bien qu'en Chine ».

On trouve de tout, dans cet objet littéraire non identifié : de courtes fictions ou même un poème de Makenzy Orcel, et plusieurs textes très sombres sur son travail. Il a l'impression d'avoir tout raté, songe à arrêter d'écrire, et parfois même, s'il n'y avait sa femme et son fils, au suicide. Les chapitres signés Nicolas sont plus « variés », riches en anecdotes, en belles rencontres et en portraits : Arundhati Roy, Philippe Sollers, ou Jean-Luc Barré, l'ami-éditeur de l'ouvrage. C'est inédit, passionnant, dur et émouvant, intime et pudique, et à la fin, chacun signe « ton frère ». « Parce que c'était lui, parce que c'était moi », comme disait Montaigne.

Nicolas Idier et Makenzy Orcel
Une boîte de nuit à Calcutta
Robert Laffont
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 20 euros ; 306 p.
ISBN: 9782221242308

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