C'est un endroit au bout du bout du monde. C'est dans la presqu'île du Cap-Ferret, et plus précisément en un lieu justement nommé La Pointe où se rejoignent l'océan et le bassin d'Arcachon. Une union si tumultueuse qu'une puissante érosion côtière menace de laisser les eaux recouvrir très vite ce fragile paradis. Face à elle se dresse un homme qui ne ressemble à aucun autre, histrionique, donquichottesque, puissant, un peu Robinson Crusoé. Il s'appelle Benoît Bartherotte et consacre sa vie à protéger le site en érigeant depuis des années une digue, un barrage contre l'Atlantique en somme. Sisyphe n'aurait pas fait mieux.

Ce barrage, cet homme-là, constituent le cœur même du projet littéraire du nouveau livre de Frédéric Beigbeder. Il bénéficie de son amitié depuis 2004 lorsque sa compagne d'alors, Laura Smet (à laquelle de très belles pages sont d'ailleurs consacrées), le lui a présenté. L'amitié est restée. Ce -Barrage est présenté par l'auteur comme le deuxième tome de ce qui reste à ce jour sans doute son plus beau livre, Un roman français (Grasset, 2009). On y retrouvera le même axe intime, la même impudeur parfois, et surtout la même sensibilité. Beigbeder s'y dépeint d'abord comme un quinquagénaire désormais « retraité » avec femme et enfants dans son cher Pays basque d'origine, à -Guéthary précisément ; un homme entre deux eaux lui aussi qui joue à cache-cache entre le réel et le temps qui passe et le dépasse.

Réfugié dans la cabane (luxueuse, il est vrai) de son ami, il entreprend d'y écrire ce livre, d'y laisser remonter comme des profondeurs marines le kaléidoscope parfois amer, toujours nostalgique de son enfance, de sa jeunesse. Ou comment un gamin plus timide qu'il ne voulait se l'avouer s'est construit une vie entre l'infinie déflagration du divorce de ses parents, des bouts de tristesse comme autant de galets échoués sur la plage, la naissance du désir, l'appétit sexuel, les filles qu'on a eues et celles qu'on n'a pas eues, les livres qu'on a lus et ceux qu'on ne se lasse pas de relire. À la fin (quelle fin ?), que l'on se rassure, le temps sera retrouvé.